19. L'orviétan

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La forêt est aussi silencieuse que nous. Par moment les arbres gémissent, laissant courir une longue plainte dans cette étendue sauvage, comme un ultime tourment reflétant la souffrance des événements. Un espoir si vif me prend à la gorge, malgré tout je n'ose me berner de belles illusions. Si son livre est ici, c'est qu'il n'a pas gagné. Taehyung a les yeux rivés sur le journal de bord, n'osant pas tourner la page.
- Je t'en prie, continue...
A son regard, je comprends lui avoir demandé l'impossible et prends alors le livre de ses mains devenues si rigides. Je pose une main sur son épaule.
- On a besoin de savoir. Il pourrait nous offrir une clé de sortie, des réponses.
Il hoche faiblement la tête.
- C'est peut-être nous.
Je ne sais pas si la personne désignée est le tueur ou bien l'ami de Seunwi, l'un dans l'autre ils étaient identiques ; des tueurs, des survivants. J'entreprends alors la lecture de ce qu'il semble être la dernière page, comme un point d'orgue à l'écriture saccadée, loin d'être soignée.
- « Je sais pas si quelqu'un lira ceci, dans un sens je l'espère, je servirais d'exemple, certes mauvais. Mais dans un autre si vous lisez ça c'est que le jeu n'est pas fini. Nous sommes en juin 2076, le jour me reste inconnu. Pendant 4 semaines j'ai tué des innocents. Et voilà le retour de flamme, assez amer. Je m'étais ouvert la jambe dans une bagarre, alors courir m'est compliqué. Ici on ne cicatrise pas, on gangrène. Je me sais pourri de l'extérieur comme de l'intérieur. Il a joué de ma faiblesse physique. Il a entaillé ma deuxième jambe, le sang ne s'arrête pas, je ne pensais pas qu'une source finie puisse apporter un douleur infinie. J'ai été lâche, j'ai eu peur, je regrette la mort que j'ai semé pour préserver ma vie. Je vous demande pardon. J'ai été égoïste. Je me retrouve caché dans une forêt emplit de Mal, il sait où je suis, je l'entends rire. Voici mes aveux, mes adieux. J'ai sur moi le canif de Seunwi, puisse t'il m'être utile. La chose qui me suit n'est plus humaine, elle n'en a que l'apparence. Il s'appelle Yukyo. Il a tué lui même son binôme. J'ai entendu dire qu'un candidat avait réussi à s'échapper de l'arène, mais que son binôme avait eu le crâne explosé lorsqu'il a dépassé la limite. Je vais me diriger vers la rivière et m'y laisser dériver. Si Yukyo ne m'a pas, les bêtes se chargeront de moi. Je l'entends arriver. C'était le journal de Sokka Kuhn, 18 ans. Puisse t'il vous être utile. Méfiez vous de l'homme plus que de la bête. Cette dernière ne peut être pervertie par le Mal. Je suis dés »
La phrase n'est pas terminée, l'écriture est sale, la page pleine de sang séchée et bruni, sûrement mélangé a des larmes. Je me lève brutalement.
- La rivière.
Nous courons tout les deux en cette direction, avec pour espoir bien infime de trouver le contraire de nos pensées. Nos yeux cherchent l'insoupçonnable, un indice, qu'importe. Il ne pouvait pas courir, il a du le rattraper facilement. Nous arrivons à la rivière, tout souffle hors de nos corps. Nous debrouissallons , cherchant désespérément un corps, des ossements. Seule la terre humide apparaît. Et alors que nous remuons la brousse corps et âme, une silhouette apparaît sur l'autre rive. Nous nous immobilisons. Ils étaient deux, hésitant.
- Vous cherchez du gibier ?
Nous sortons nos armes. Entendre parler l'un d'entre eux me rappelle alors qu'ils sont humains. Nous ne répondons pas, bien trop étonné de croiser quelqu'un.
- Vous devriez placer vos pièges de manière à les retrouver facilement.
Son compagnon lui donne un léger coup de coude dans les côtes.
- Vous devriez vous méfier des autres. J'ai appris qu'ici l'Homme est cruel, dis-je en murmurant.
- On reste des humains non ? Vous vous appelez comment ?
Taehyung croise mon regard et se relève.
- Taehyung et Jimin.
- Enchanté. Je m'appelle Achille et lui c'est Fu. Il a pas l'air hyper bavard mais c'est un chic type.
Je me relève à mon tour en souriant.
- Bon bah bon courage, j'espère qu'on aura pas à vous... enfin vous savez... poursuit il.
Je baisse les yeux. Il reprend :
- Bon courage les gars. Oh et si le foie de la bête est tacheté de petits grains blancs, ne le mangez pas. C'est la tularémie.
Ils tournent les talons et s'engouffrent dans les abysses de la forêt.
- Bon courage.
Nous restons stoïques un instant, aux aguets.
- Au début ils seront nombreux à hésiter. Mais plus tard, après avoir goûter à leur premier meurtre, ils n'hésiteront plus. Nous non plus nous n'hésiterons pas.
La voix de Taehyung est basse, sa mâchoire est crispée.
- Aller. Nous avons à faire. La nuit va tomber.
Nous rebroussons chemin.

La chaleur de fin de journée rend ma réflexion laborieuse. Mes yeux se perdent, se baladent aveuglément. Je m'arrête, et observe la petite clairière qui se dresse sur ma gauche. En son milieu prône un arbre frappé par la foudre à multiples reprises.
- Ça va ?
L'inquiétude de mon compagnon renforce mon pressentiment. Je me dirige en silence dans cette étendue d'herbe. C'est à quelques mètres du grand arbre que je l'aperçois. Le ciel offre des couleurs nuancées en total contradictions avec la scène qui s'offre à nous. Nous l'avons trouvé. La signature du meurtrier est reconnaissable. Les restes de Sokka sont accrochés sur l'arbre. Il n'a plus de mains. Sa peau semble s'être asséchée, comme une vieille momie laissant par endroit apparaître les os. Son crâne est fendu en son sommet. Ses vêtements déchirés expriment la douleur que l'état de décomposition dissimule.

 ☪︎ L'enfant de la Lune ‌‌‌‌ ᵛᴹᴵᴺ ☪︎Où les histoires vivent. Découvrez maintenant