11. Oxyde

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- Je n'ai jamais été très bon joueur. Je perdais souvent et ça m'agaçait. Un soir j'en ai même brisé le plateau de jeu. Et puis mon père m'a fait comprendre que c'était pas ce qu'il y avait à faire. Il m'a fait découvrir la chasse, un domaine dans lequel un échec ne peut conduire à la destruction d'un jeu. Parce que maintenant je comprends à quel point les jeux sont précieux. C'était sûrement le seul moyen de propager une once de joie, les grands riaient, les petits aussi, parfois de manière cynique ou encore colérique.
- Et maintenant nous en sommes les pions.
- Tu sais Jimin, nous ne sommes pas de simples pions.
J'esquisse un faible haussement d'épaule, concentré à la tâche.
- Incline la lame davantage.
Le poignard transperce la chair avec une aisance déconcertante. Je suis ravie de n'être qu'au stade de boucherie animale et non pas carnage entre humains. Taehyung est un bon professeur, ses mouvements rapides et précis taille la carcasse du bétail forestier. Il effectue un acte si peu ordinaire, quelque peu écœurant, pourtant avec une telle grâce, et un tel charme.

Nous avons coupé les morceaux en tranche, et avions cherché du bois afin d'allumer le feu. Nous nous sommes installer dans le salon, accroupie devant le foyer de la cheminée. La viande cuit tandis que nos ventres gargouillent. Le silence ambiant brisé par le feu dévorant, mastiquant le bois, laisse en nous un sentiment de plénitude. Les flammes dansent au grès des courants d'air, frénétiquement, tels des langues chatouillant l'oxyde de ses doigts.
Au dehors, les ténèbres nous guettent, pour autant, nous ne craignons rien. Je reste obnubilé par la magie du spectacle fiévreux qui s'offre à moi. Les nuances d'orange se pressent, se mélangent et disparaissent, comme une simple apparition. Alors le bois crépite, non, gémis, au plus grand bonheur de mon être.
- Tu as raison. Finalement nous n'avons rien à perdre en se donnant à l'autre.
Ma voix n'était que murmure, presque aussi faible que le bruit de nos respirations étouffés par les crépitements constants.
  Taehyung m'observe, son visage lumineux lui même illuminé par le feu. N'est ce pas la une mise en abime sublime. Un rayon de lumière mis en valeur par une autre source de lumière. Le jeu d'ombres qu'exerce cette dernière sur son minois d'or est d'avantage obnubilant.
- En réalité moi aussi je me suis fait prendre. Comme ton père et toi.
Mon regard se dérobe de son visage, se logeant dans les flammes, mes murmures s'élèvent avec une assurance étrange.
- Je t'avais dit que nous avions des cultures non déclarés. Nous avions également un puit. Nous avions découvert la présence d'une nappe phréatique au fond de notre propriété. Nous avons construit l'édifice avec une telle discrétion que même le village ne soupçonnait pas l'existence du chantier. Nous y buvions, lors de période sans eau, et partagions avec le village. Et puis un jour, sans qu'aucuns signes avant-coureur n'apparaissent, l'État a débarqué. Leurs hommes de mains savaient pour l'existence du puit et on emmenés ma famille au pied de ce dernier. Il y avait mon père, ma mère, ma soeur âgée de 2 ans, et moi. Nous étions terrorisés. Nous savions d'avance que le sort qui nous était réservé allait être si rude.
Le feu danse, s'affole, la scène se déroule dans ma tête, se modélise dans ces flammes, les comédiens entrent en piste, et un à un regrette leur présence.
- Ils ont coupé la main de mon père. Lui ont crevé les yeux. Je ne pouvais pas supporter... je ne pouvais pas m'empêcher... d'hurler... de crier, de me ruer désespérément, en vain... mes cris ont attisé leur colère. Et dans un élan d'exaspération, l'un d'entre eux souleva ma petite sœur. Il l'attrapa par les hanches et la tenait sous son bras. Elle pleurait, elle hurlait. En vain. Désespérément. Il l'a jeté dans le puit. Ses cris et son corps se répercutaient sur les parois rocheuses, ne voulant jamais s'arrêter, le bruit sourd de sa chute dans l'eau fut tout aussi long. Je l'entendais se débattre, boire la tasse. Et je les entendais rire, s'égosiller. Les plaintes de ma mère, les gémissements de mon père.
Mon pouls vacille, mes pensées se bousculent. Je me sens étouffé par ces souvenirs accablants.
- Puis plus rien.
J'aperçois une multitude de couleur en ce feu, tantôt chaleureux, tantôt glacial.
- Ils ont fermé le puits, puis sont revenus le faire sauté, condamnant l'accès à la nappe phréatique. Au corps de ma soeur.
Je sens la compassion qui s'émane de lui, sa main se poser sur mon épaule, ses fins doigts serrer tendrement mon corps devenu si faible et tremblant. Sa voix brûlant l'intérieur de mon enveloppe corporelle désormais dépouillée d'émotions palpables.
- Je suis si désolé... je ne pensais pas qu'ils pouvaient être si cruels envers des enfants, envers des innocents, qui ne cherchaient qu'à survivre. Ne te sens pas responsable, ils ont des yeux partout.
Mon rire macabre le surprend.
- Oh que si. Le déroulement de cette scène s'est réalisée par ma faute.
Ma main enlace l'autre, mes ongles de plantent amèrement dans ma peau.
- Un jour sans eau, j'ai vu un petit garçon qui avait soif. Il me peinait, dans des vêtements sombres, sa frimousse innocente. Je lui ai proposé de l'eau fraîche, que j'avais tout juste sortie de mon puit, au fond de mon jardin, que j'étais fière d'avoir construit. Il a but avec joie. Ce n'est que le soir que j'ai appris que c'était le fils de l'inspecteur du district. Il avait la langue bien pendue, et son père la main lourde.
Son silence me conforte dans mon ressentis. Sa main glisse, hésitante, dans un silence pleins d'inavoués, d'hésitation, je le sens tâtonner, cherche d'autre mots que « désolé. C'est horrible. Ne t'en veux pas. Tu n'es pas responsable. Tu étais gamin. ». Et je ne veux absolument rien entendre. Je ne veux plus qu'écouter le silence, les flammes et sa respiration.
- Alors oui apprenons à nous connaître pour mettre à mort ces enfoirés.

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Hello Je m'excuse pour cette longue absence, je suis assez occupée as ever je vous embrasse

 ☪︎ L'enfant de la Lune ‌‌‌‌ ᵛᴹᴵᴺ ☪︎Où les histoires vivent. Découvrez maintenant