FANFREDAINE ET FREDONDAINE (partie 2 et fin)

46 9 67
                                    

– La Fredondaine est une tradition ancestrale dans notre belle cité, précisa Jean-Dudule trop heureux de mettre son grain de sel, un ancien défi à boire qui a de tout temps réglé les plus âpres disputes entre Moncornétiens. On raconte même que c'est ainsi que le Baron Empoigne aurait établi les limites de la ville, en battant à la Fredondaine le Duc Léüse et en lui confisquant par là même une partie de son territoire.

– Le terrain de golf, je parie ? demanda Pontbleu qui s'emmerdait déjà comme chez Jean-Branlin.

– Voilà les règles, caporal-en-second, interrompit Cherloute pressé d'en finir : à chaque litre d'essence de fenouil descendu, une épreuve. Pour chaque épreuve gagnée, une information. Que dites-vous de ça ?

– Acceptez, Pontbleu, menaça la salle en faisant mouliner les slips en rythme.

– Ai-je vraiment le choix ? » demanda Pontbleu aux rares lecteurs qui n'avaient pas encore abandonné cette histoire pour aller ailleurs lire un vrai bon livre, et même ceux-là ne lui répondirent pas.

Les deux adversaires s'allongèrent donc sur deux tables parallèles, et Jean-Dudule entreprit de leur verser un premier litre d'essence de fenouil dans le gosier à l'aide d'un entonnoir. Puis vint la première épreuve : un duel d'escrime, les mains liées dans le dos, avec une bouteille serrée entre les jambes en guise d'arme. Cherloute, visiblement rompu à l'exercice, mit assez facilement Pontbleu en difficulté et finit par l'acculer au comptoir, par-dessus lequel il risquait de basculer à tout moment.

« Âââââââh, Pônt-BLEÛ ! Tû vâs crever ! HOÛ-HÂ ! » scandait la salle en liesse, soudain animée d'une inquiétante envie de sang. C'est l'instant que choisit Pontbleu pour jouer son vatout : d'un mouvement pelvien sec et qui lui fit un peu mal, il lança en l'air sa bouteille qui fit plusieurs tours sur elle-même, médusant l'assistance toute entière, y compris Rudon. Profitant de cette distraction collective, il attrapa entre ses cuisses la bouteille de Rudon, la lui enleva, sauta à pieds joints sur le comptoir et la lui claqua en pleine gueule, tandis que l'autre bouteille, qui retombait en biais, atterrissait en se brisant sur la tempe de Pontbleu.

Une fois les candidats réanimés, on convint d'une égalité sur la première manche. On enchaîna donc directement sur la deuxième : table, entonnoir, glouglou. L'épreuve suivante les emmena dehors pour un concours de lancer de bouteilles en verre sur les pigeons de la grand place, qui heureusement pour les pigeons, ne présentait pas de réel danger, la précision et la vivacité des participants étant fortement altérée pour les raisons que l'on sait. En revanche, la statue du Baron qui se trouvait en plein milieu de la place en prit pour son grade, dans une scène affligeante où le héros censé venger son humiliation et restaurer son intégrité ajoutait lui-même encore à sa déchéance sous l'emprise de spiritueux.

On finit par déclarer Pontbleu vainqueur grâce à un tir bien placé à l'entrejambe du Baron qui impressionna beaucoup.

« Le gars qui a fait ça, révéla alors Cherloute sur un ton de confessionnal éméché, est tout près de nous, et pourtant on ne le voit pas. »

Pontbleu soupçonna un instant un des lecteurs, mais cela ne tenait pas debout, puisqu'il les voyait et leur parlait de temps en temps. Il allait poser une question, mais déjà on l'avait étalé sur sa table avec son entonnoir sous la glotte. La troisième épreuve était un exercice de décapsulage de canettes avec différentes parties du corps : les dents, les coudes, les oreilles, les orteils, la barbe (ici, il brilla), le menton, les narines, les poignets, les esgourdes, les épaules, la langue, le nombril, les yeux, et bien évidemment le sexe. Nettement désavantagé par le manque d'entraînement, l'inspecteur perdit cette manche dans un tonnerre d'applaudissements.

Après la quatrième séance d'ingurgitation d'essence de fenouil, on ne s'embarrassa même plus de prétextes : il ne s'agissait plus que de boire, boire et reboire, jusqu'à e que l'un des combattants tombât le front sur le carrelage. Et ils burent, buvâtent et buvèrent tant et tant qu'ils finissèrent par terre, et roulâtent ensemble sous le comptouère, puis roulassent encore dans le canivasse, dans un état d'ébriété tel qu'il affectasse jusqu'au tissusse même de ce récisse, particulièrement au nivasse du passé simple, temps verbasse éminemment éthylosensasse, comme chacun le sasse.

Résultasse : Pontbleu se réveillasse en slip dans un pneu à l'arrière d'un garage, le lendemain matin. De Rudon Cherloute, il ne trouvait plus trasse.

Mais la messe n'était pas encore dite : on lui avait aussi signalé la présence, à Cornemont, d'un autre pochetron du cru qui, en plus de ses mauvais penchants naturels, avait le mobile supplémentaire d'être cornemontais, et donc ennemi héréditaire de Moncornet. Il se rendit donc, aussitôt qu'il tint debout et que son passé simple lui fut revenu, dans le bistrot principal de Cornemont, tenu par un certain Jean-Dudon, où il rencontra un dénommé Cherlon Rudoute, qui le défia à la Fanfredaine.

« La Fanfredaine est une très ancienne danse cornemontaise, grâce à laquelle le Duc Léüse aurait jadis conquis une partie des terres du Baron Empoigne...

– Abrège, Jean-Dudon ! » coupa Pontbleu.

Il se réveilla le surlendemain avec un pneu à la place du slip derrière une rangée de six troènes.

Vous avez atteint le dernier des chapitres publiés.

⏰ Dernière mise à jour : Jun 03, 2019 ⏰

Ajoutez cette histoire à votre Bibliothèque pour être informé des nouveaux chapitres !

Micmacs à MoncornetOù les histoires vivent. Découvrez maintenant