SOUS LA STATUE (partie 1)

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Revenu gros-jean comme devant de ses pérégrinations cornemontaises, Pontbleu prit le parti d'aller fliquer la statue sur la grand place, nuitamment, car il est bien connu de tout fin limier qui se respecte que le malfaiteur revient toujours sur les lieux de son méfait. Il y passa ainsi quelques nuits qui ne furent pas blanches, puisqu'il dormait la plupart du temps, mais tout de même malagréables vu le confort rudimentaire de l'endroit. C'est lors d'un réveil fortuit par une de ces nuitées spartiates qu'il aperçut depuis son banc une silhouette se faufiler gauchement jusqu'au pied de la fontaine, et disparaître derrière le socle.

Sur pied dès qu'il eut fini de tomber du banc, l'inspecteur accourut à son tour auprès du monument, où il ne trouva pas trace du mystérieux noctambule. Il n'avait cependant pas pu quitter la place, qui n'offrait aucun recoin avantageux où se cacher. Ni une, ni deux, Pontbleu sauta dans l'eau pour débusquer le bonhomme, car il ne pouvait être ailleurs, et en tapant du pied au hasard sous la surface, il actionna sans le vouloir un levier secret qui ouvrait une trappe dans laquelle il fut aspiré comme par une chasse d'eau.

Fort heureusement, Pontbleu qui avait le souffle court à force de cigarettes imaginaires ne resta que quelques secondes la tête sous l'eau, et fut promptement projeté dans une cavité souterraine humide, mais pas immergée, dont l'envergure suggérait qu'elle s'étendait sous l'ensemble de la grand place. Après s'être reçu tant bien que mal sur le dallage en pierre, non sans éructer quelques jurons bien sentis, il se redressa et jaugea les environs. La vaste salle voûtée, qui devait dater du Moyen Âge, se subdivisait sur les côtés en petites pièces oblongues, tandis qu'un peu partout des débris de sculptures jonchaient le sol. Le tout était vaguement éclairé de quelques lanternes murales dont la lueur blafarde conférait aux vestiges de statuaire quelque chose de fantomal et d'indéfinissablement menaçant.

Le charme sépulcral des lieux en fit presque oublier à Pontbleu qu'il était descendu dans ces sinistres dessous à la poursuite d'un suspect. Il songea donc un peu tard à se faire discret, et se mit à explorer les alentours en rasant les murs, à défaut de sa barbe. Il n'eut toutefois pas à frôler la pierre suintante et moussue bien longtemps, car son suspect, qui l'avait naturellement entendu débarquer sans finesse par le siphon, lui tomba bientôt dessus à bras raccourcis. Tous deux roulèrent au sol dans une étreinte que les professionnels du catch jugeraient risible, et au cours de laquelle le menton de Pontbleu, heureusement amorti par sa pilosité, heurta plusieurs fois les dalles dont pas une n'était moins dure que les autres, jusqu'à ce qu'il parvînt finalement à placer un coude vengeur dans la joue gauche de son assaillant, qui bascula en arrière et lâcha prise. D'un bond, Pontbleu se remit debout et l'empoigna par le collet.

C'était Jean-Branlin.

« Foutrebleu, Jean-Branlin ! Que venez-vous traficoter ici à ces heures indues ?

– Ah, c'est vous, Pontbleu ! Vous m'avez flanqué une de ces pétoches ! Soyez le bienvenu au cœur le plus secret de l'Histoire de Moncornet ! Savez-vous que vous êtes le premier à découvrir cet endroit après moi ? Venez, que je vous fasse la visite guidée !

– Y a intérêt ! C'est votre derche qui est sur la sellette ! Avec tout ce que je vois ici, j'ai de quoi vous faire coffrer pour vingt ans ! bluffa Pontbleu qui comptait bien exploiter son avantage momentané jusqu'au trognon.

– Soyons sérieux, Pontbleu, recadra Jean-Branlin, on ne va pas vingt ans au trou pour dégradation de bien public. En outre, ma présence ici ne peut en rien me lier aux exactions sur lesquelles vous enquêtez.

– Sauf si on retrouve la tête et le bras manquants au milieu de toute cette brocante ! Auquel cas j'aurai quand même personnellement votre peau.

– J'aimerais que ce soit si simple, Pontbleu. Vous ne les trouverez malheureusement pas ici, mais peut-être y verrez-vous des choses qui peuvent vous intéresser malgré tout. »

Jean-Branlin se saisit de l'une des lanternes murales, et le ton docte qu'il prit alors fit comprendre à Pontbleu qu'il allait encore une fois bien s'emmerder.

Micmacs à MoncornetOù les histoires vivent. Découvrez maintenant