FANFREDAINE ET FREDONDAINE (partie 1)

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C'est vers ce stade où l'enquête piétine tellement qu'elle commence à reculer que Pontbleu se rappela le nom d'un potentiel trublion que les notables lui avaient soufflé lors de leur acrimonieuse rencontre sur le terrain de golf : Rudon Cherloute, le poivrot du coin. L'homme était en délicatesse avec les autorités, et comme tout marginal au jugement assombri par l'essence de fenouil qui se respecte, avait un compte à régler avec la société en général. Le profil était si marqué qu'il ne s'agissait certainement pas du vrai coupable (chose qui n'arrive que dans les contes de fées pour flics), mais ça valait le coup de le cuisiner. Il se mit donc à fréquenter assidûment le comptoir de Jean-Dudule, où il fut assez vite cantonné aux carafes d'eau, le maître des lieux ayant compris sans peine qu'il avait là affaire au genre de client à qui la maison ne fait pas crédit.

Fort heureusement pour Jean-Dudule (car la présence dans son troquet d'un flic, même fictif, tuait le commerce), Rudon Cherloute ne tarda pas à faire une entrée remarquée en dérapant dans une flaque d'un liquide non identifié qui le fit glisser sans élégance jusqu'au bar, où il se retrouva accoudé tout près de Pontbleu.

« Docteur Cherloute, je présume ? balança Pontbleu en tenant son verre d'eau du robinet comme on manie un godet de gnôle méchamment inflammable.

– Adjudant Pontbleu, c'est ça ? repartit Cherloute qui était au fait de la réputation générale de Pontbleu, mais pas très au point sur les finesses des intitulés hiérarchiques.

– Vous ne regardez pas beaucoup la télé, hein ? s'amusa Pontbleu, de longue date persuadé que ses aventures étaient diffusées sur le petit écran et connues de tous, exceptés des losers, alors qu'en réalité très peu de gens lisent ces lignes.

– Souvent, c'est plutôt elle qui me regarde, avoua Rudon qui avait la fâcheuse habitude de s'endormir dans le canapé.

– Vous savez ce qu'on dit de vous, dans le coin ?

– Que je suis trop sexy pour cette ville ? roucoula Rudon avec un petit entrechat des sourcils qui déchaîna les rires des autres clients et de Jean-Dudule, visiblement habitués à, et amateurs de ses facéties.

– Plus sexy que moi ? » renchérit Pontbleu pour qui l'enjeu de la conversation était subitement de mettre les rieurs de son côté et de supplanter Rudon en termes de popularité.

La salle garda un silence liquéfiant.

« Je me suis laissé dire qu'en plus d'être un pochard notoire, vous auriez aussi trempé dans les dégradations de la statue, asséna Pontbleu très vite pour donner le change.

– Moi ? tonna Cherloute en se frappant le poitrail avec un bruit de cuve à fioul vide, et la salle étouffa un « ôôôôôôô » collectif d'explendeur. Mais qui ose ? On vous aura turlufié, sous-sergent ! Tout le monde ici vous dira que je conchie les autorités avec la toute dernière énergie, mais que je suis empreint du plus profond respect pour les vieilles pierres.

– C'est pourtant vous qu'on a verbalisé en train de vous soulager dans la fontaine, il y a quelques mois, si je ne m'abuse ? enfonça Pontbleu, content d'avoir tapé là où ça fait bien mal. (« oûûûûûûû »)

– Haha oui, mais ça c'était parce que Jean-Dudule était fermé, rigola Rudon en relançant l'hilarité générale. Plus sérieusement, j'exècre les barons et nobliaux de tout poil, mais pétrifiés je les aime assez bien. Je ne voudrais surtout pas causer le moindre tort à notre bien-aimé Empoigne.

– C'est vrai, ça, Pontbleu, confirma la salle comme un seul homme.

– Avoir 36 complices ne vous fournit pas d'alibi, ergota Pontbleu alors qu'en fait c'était exactement le cas. Crachez-moi plutôt ce que vous savez, et le nom de quelqu'un qui a pu faire le coup.

– Ah ça, j'en sais, des choses, mon vice-lieutenant, mais pour me les faire dire, il va falloir me vaincre à la Fredondaine !

– La quoi ?

– LA FREDONDAINE ! entonna en chœur la salle déjà debout en slip sur les chaises.

Micmacs à MoncornetOù les histoires vivent. Découvrez maintenant