Le Mal a un Nom

Foyer

IL s'était mit à pleuvoir en un battement de cil, mais cela ne dérangeait pas vraiment James Crowd, les gouttes ruisselaient sur lui et dégoulinaient le long de son corps comme autant de souvenirs qui tenteraient de se frayer un chemin jusqu'à son esprit. Il marchait le long des rues, ne prêtant pas vraiment attention aux gens qu'il croisait, essayant de se vider la tête tandis que ses jambes le guidaient jusque chez lui où il pourrait retrouver sa fille, Anna. Malgré sa tentative sans espoirs de laisser ses pensées s'évader loin de son quotidien macabre, le poids de la mallette le ramenait à la réalité sans qu'il ne puisse rien y faire.

Il arriva enfin devant chez lui, dépassant le portail de fer blanc et introduisant ses clés dans la serrure, il pénétra dans l'appartement tandis qu'une musique forte parvenait à ses oreilles. La porte claqua derrière lui et il retira son manteau tout en annonçant d'une voix forte :
- Je suis rentré !
Il n'obtint aucune réponse, sa voix étant couverte par celle d'un rappeur américain connu dont il n'avait jamais pu retenir le nom. 
Déposant la mallette dans un coin de l'entrée, il se dirigea vers la cuisine et ouvrit le frigo à la recherche des lasagnes végétariennes qu'il y avait laissé la veille. Elles n'y étaient pas. Agacé, il fit le tour de la pièce du regard et repéra une assiette couverte de sauce tomate venant jucher la table de la cuisine. 
James pesta contre sa fille et commença à ranger le foutoir laissé par cette dernière avant de se raviser : mieux valait lui demander de le faire elle même.
Il appela de nouveau : 
- Anna ?
Personne ne lui répondit et il se dirigea d'un pas décidé vers l'escalier, le son de la musique s'intensifiant à mesure qu'il arrivait à l'étage. Il ouvrit la porte de la chambre de sa fille et aperçut alors cette dernière à moitié nue, allongée dans les bras d'un garçon qu'il n'avait jamais vu.

Il resta figé sur le seuil de la porte, digérant lentement ce qu'il venait de voir tandis que le jeune couple continuait à s'embrasser sans se soucier de quoi que ce soit. Les yeux de James croisèrent soudain ceux de sa fille et une expression horrifiée apparut sur le visage de cette dernière. 
- Bouge ! s'écria-t-elle, repoussant l'adolescent qui partageait son lit. 
Ce dernier parût ne pas comprendre immédiatement, mais, après avoir suivit le regard d'Anna, il devint rouge et balbutia quelques mots incompréhensible.
James ne fit aucun effort pour tenter de diminuer son gène et le laissa ramasser son jean, tentant tant bien que mal de formuler ce qui ressemblait à de vagues excuses à son encontre. Une fois rhabillé, le jeune homme sortit de la pièce sans un mot et sans un regard pour la fille qu'il enlaçait quelques secondes plus tôt.

James Crowd passa la main sur son visage que creusait de profondes rimes symboles du vécu qui était le sien. Il marcha lentement vers le lit où Anna était assise désormais vêtue d'un gilet rose pale. Cette dernière fixait les quelques posters qui décoraient le mur situé à l'opposé de son père comme-ci ces derniers détenaient une réponse primordiale. Ce dernier se dirigea vers l'enceinte qui diffusait toujours la musique à un volume abrutissant et l'éteignit puis revint vers sa fille.
- Je peux m'asseoir ? tenta James.
Anna hocha lentement la tête et il s'exécuta, passant une main autour des épaules de son enfant qui grandissait trop vite à son goût. Il décida de ne pas l'attaquer de front, l'humour étant sans doutes le meilleur moyen d'obtenir une réponse de sa fille :
- Alors, je peux au moins connaître le nom de mon beau-fils ?
Malgré le fait qu'elle s'obstinait toujours à fixer le mur, il crût percevoir un sourire de sa part et continua :
- Tu ne vas pas m'obliger à enquêter quand même...
- Eric. chuchota-t-elle.
James sourit alors :
- Et quel âge a-t-il cet Eric ?
Anna leva les yeux au ciel mais répondit tout de même :
- Quatorze ans. 
- Très bien.

La fille de James se tourna alors vers lui, confuse :
- Attends, tu vas pas m'engueuler là ?
- On dirait bien... sourit-il.
Anna se jeta alors dans les bras de son père comme elle ne le faisait que trop souvent au grand désespoir de ce dernier. La chaleur de son étreinte fît un bien fou à James et chassa loin de son esprit les souvenirs douloureux avec une aisance alarmante. Elle se dégagea bien trop vite à son goût et sortit de la pièce, descendant l'escalier pour retourner à la cuisine. 
- Range ton assiette ! cria James. 
Le bruit d'ouverture du lave vaisselle lui confirma qu'elle avait bien entendu. Il resta assis quelques secondes, profitant du doux parfum de sa fille étalé un peu partout dans ses draps. Elle ressemblait tellement à sa mère...
- Papa ?!
James sortit de sa rêverie et quitta la pièce à son tour, fermant la lumière au passage. 
- Oui ? fit-il tout en retournant en bas. 
- Nouvelle valise ? demanda Anna en pointant du doigt la mallette posée dans l'entrée. 
James inspira sinistrement, tout bonheur fugace oublié :
- Nouveau travail. déclara-t-il.