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Les dieux. Le Fléau. Léviathan. Tous des obstacles mineurs.
Le véritable défi venait des solains eux-mêmes.
Caelus, Le Monde Solitaire
La nourriture à Khar manquait de variété, à l'image des cultures végétales en dehors du magistère. Seuls les jardins entre les murs ressemblaient à un îlot préservé de diversité ; l'extérieur se résumant en tubercules enfoncés dans une terre noirâtre, par endroits sèche et caillouteuse, par d'autres grasse et bitumeuse.
Livenn et Othon arrachaient au sol leur pitance du soir, lorsque le tubercule sur lequel elle tirait se mit à résister. Tout son feuillage lui resta d'abord entre les mains. Il se délitait sur place, comme pour se révéler illusion lui aussi. Ses gants glissèrent et les doigts s'enfoncèrent dans la chair pourrie. Livenn creusa davantage, mit plus de terre sur sa tenue de travail et, au dernier coup, gagna la partie.
Elle se retrouva avec une racine énorme dans les mains, comme si le tubercule violet avait enflé par sa base ; spongieuse, recouverte de follicules graisseux et de ramifications inquiétantes. Cela, en réalité, ne faisait pas partie de la plante d'origine, qui avait seulement servi de festin au parasite. Écœurée, elle tourna la tête vers Othon.
« Arrachage de mandres ! » Héla celui-ci à la cantonade.
Les élèves interrompirent leurs travaux et convergèrent sur la petite parcelle. En habitués, ils se mirent à la quadriller comme des pêcheurs à marée basse. Ils plantaient des tiges de fer dans le sol pour le sonder. Certains se servaient de leur magie d'Arcs. Les plus expérimentés arrachaient les plantes malades en un seul coup, comme si d'intuition, ils connaissaient le geste d'épaule parfait. Les tubercules parasités s'empilèrent en tas. Plus ils fouillaient, plus la terre se creusait de trous, bientôt des tranchées dans lesquelles ils continuèrent de creuser.
« Tu ne connais pas ça ? demanda Othon. C'est un des cadeaux du Fléau des dieux, Léviathan.
— Ce sont des parasites ?
— Ouais, en quelque sorte. Elles apparaissent en profondeur par génération spontanée, puis elle remontent vers ce qui vit, s'y installent et s'en nourrissent. Elles tuent les plantes, ensuite elles meurent aussi ; et puis il ne reste plus rien. Tu vois bien à quoi ressemble la terre par ici. »
Pour Livenn, la racine de tous les maux avait toujours été la lumière ; cette lumière qui causait la mort des plantes, la folie des animaux et l'apathie des solains. Mais Sol Finis pourrissait sur place. Même si le ciel avait eu tout l'éclat de sa jeunesse, le monde aurait continué de s'en aller, comme une peinture qui s'écaille.
« Ça aussi, ils ne le savent pas, à Méra » lâcha Othon.
Le tas de mandres atteignait une taille raisonnable lorsqu'un des élèves y mit le feu. L'odeur était insupportable, mais Livenn ne pouvait pas laisser ses homologues en plein travail, les abandonner là sous prétexte qu'elle était indisposée. Elle continua de creuser avec eux. Ça n'en finissait pas. À quoi bon ? Les autres parcelles n'étaient-elles pas infectées elles aussi ? Détruire les mandres ne servait à rien, puisqu'elles apparaissaient spontanément ; la dernière chose que la terre malade pouvait encore créer.
« Est-ce... »
Elle n'osait même pas formuler sa question.
« Est-ce que les mandres s'attaquent aux solains ?
— Ce n'est pas ce qui nous tuera en premier. Si tu as un doute, sonde tes organes internes. Mais je ne pense pas... après tout, tu viens de la bordure du royaume, loin de l'impact de Léviathan.
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Sol Finis
Fantasy-- Premier livre dans la trilogie des solains -- Méprisé par ses dieux, abandonné par le destin, un monde perdu s'éteint dans l'indifférence. Ceux qui veulent échapper à l'anéantissement tournent leur regard vers le ciel : là-bas, au loin, se trouve...