1600 mots
Ne négligez pas la persistance des rêves.
Kaldor, Principes
Ce soir-là, maître Wei sentit ce léger trouble dans la maille d'Arcs qui présageait de l'arrivée de Nadira.
« Où est ta protégée ? » demanda-t-il lorsque la solaine aveugle entra dans son bureau.
Elle s'était arrêtée en contemplation face à l'une des aquarelles sympathiques. Car Nadira n'était plus capable d'engranger de nouveaux souvenirs ; chaque fois qu'elle entrait dans le bureau de Wei, c'était comme la première fois.
« Elle fait le mur avec Othon. »
La solaine aveugle fit le tour du bureau.
« Je n'ai jamais vraiment compris la manière dont vous dirigez ce magistère » attaqua-t-elle, répétant le fil d'une conversation qui s'était déjà tenue au même endroit à de multiples reprises.
Il ne pouvait pas lui en vouloir. Il n'y avait que des solains comme Livenn, trop pris par l'illusion, trop émotionnellement impliqués par la personne de Nadira, pour passer outre tous ces minuscules détails. Pour croire encore à cette persistance qui, en réalité, prenait appui sur leurs esprits.
« Que veux-tu dire ?
— À sa création, après la chute de Léviathan, Khar était un véritable magistère. Les magerêves espéraient poser ici les bases d'une nouvelle religion, fondée sur le culte des Étoiles lointaines et le mythe de la transmigration. C'est vous, Wei, qui avez fait de Khar une simple école de magie d'Arcs, une école de formation de maîtres qui ne méritent plus leur nom.
— Cette nouvelle croyance était vouée à l'échec, car elle aurait eu le défaut qu'elles ont toutes. Nous aurions vénéré les Étoiles et nous aurions discouru sans cesse sur notre royaume futur, nous l'aurions promis avec ferveur, sans jamais nous lever pour l'atteindre. En faisant d'elle des objets sacrés, nous les aurions mises, pour toujours, hors de notre portée. »
Maître Wei hocha la tête ; chaque fois que Nadira le visitait ainsi, il revivait l'histoire récente de Sol Finis, tissait le réseau des nécessités à l'œuvre et se souvenait que rien n'aurait pu vraiment se passer d'une autre manière. Cette manie des choses à prendre une route qui ne dévie jamais, que personne ne contrôle, mais qui ramène toujours dans son giron les plus récalcitrants, d'aucun l'ont nommée « Destin ». Pour les solains, peuple de l'esprit, de la parole et du geste, le destin est un symbole.
« Mais en lui ôtant sa dimension spirituelle, le magistère est devenu plus faible. Il n'est plus de taille à affronter la politique du royaume. Vous avez vieilli, maître Wei, et vos espoirs ont vieilli avec vous.
— Mes espoirs sont intacts, autant que ta persistance.
— Je ne suis pas intacte. Je suis fatiguée de rester ici. Les choses auxquelles j'étais attachée se font chaque jour plus distantes. Le magistère, par exemple. Ses murs tiennent encore debout, mais il s'effondre de l'intérieur, à l'image de son monde.
— Que représente Livenn ?
— Ce que j'attendais. Vous avez essayé de faire renaître l'espoir à Khar, Maître Wei, mais il vous a sans cesse échappé, je le vois bien. Avec la lumière qui disparaît, les solains perdent conscience. La science des Arcs, que votre génération espérait raffermir, se dissout. Il ne nous reste plus beaucoup de temps. Le magistère n'avait plus la capacité de créer le dernier magerêve, alors je suis allée chercher ailleurs. C'est là que j'ai trouvé Livenn. »
VOUS LISEZ
Sol Finis
Fantasy-- Premier livre dans la trilogie des solains -- Méprisé par ses dieux, abandonné par le destin, un monde perdu s'éteint dans l'indifférence. Ceux qui veulent échapper à l'anéantissement tournent leur regard vers le ciel : là-bas, au loin, se trouve...