*Sombre songe*

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« J'ai entendu dire que les filles de Frigga, Hnoss et Gersimi se trouvaient actuellement dans un petit village de Fianna, dans le sud. C'est pas loin de chez toi, je te laisse t'en occuper. »

Grainné arriva chez elle à l'aube. Son père était déjà réveillé, et buvait tranquillement une tasse de lait chaud, assit sur le perron. Quand il l'aperçu, il se leva doucement et couru vers elle.
- Grainné ?
- Je suis rentrée...
Il aurait voulu exprimer sa joie en la prenant dans ses bras, mais il vit dans le regard de la jeune fille que quelque chose n'allait pas.
- Tout va bien ?
- On peut dire ça... Le voyage a été long, et il s'en est passé des choses...
- Tu veux me raconter ?
- Tu serai prêt à tout entendre ?
Caïlte hésita. Était-ce si traumatisant ? Si ça l'était tant que ça, il devait tout savoir. Il ne pouvait pas la laisser seule face à ce mal qui la rongeait.
- Bien évidemment. Allez, dis-moi tout.
Il l'invita à venir s'asseoir sur les petits escaliers qui longeaient la maison. Une fois installés, elle débuta son récit.
Elle raconta tout, sans filtre,et sans omettre le moindre détail. Elle lui avoua ensuite ses soupçons par rapport aux démons qui hantaient ses amies, et les peurs qui en découlaient. Elle lâcha parfois quelques larmes, mais n'y prêta pas attention, ne voulant pas interrompre son histoire.
Quand elle eu enfin fini, elle leva, pour la première fois depuis qu'elle était rentrée, ses yeux vers son père, appréhendant sa réaction. Allait-il la juger ? Allait-il dire du mal de ses précieuses amies ? Ou peut-être allait-il en dire sur elle ? Toutes ces possibilités la terrifiaient. Mais ce qu'elle vit dans son regard n'était ni de la colère, ni du dégoût, mais simplement une grande affection, accompagnée très certainement d'un peu de pitié.
- Ça n'a pas du être facile, commença-t-il, mais... ce sont le erreurs qui forgent une personne. Celui qui ne faillit pas n'évoluera jamais, mais celui qui trébuche devra trouver le courage de se relever et la force d'avancer. Cette fois-ci tu as vu ce que le Malin était capable d'accomplir, et c'est pourquoi tu sauras à quoi t'attendre quand il réapparaîtra. Cesse donc de te tourner vers la passé, car lui on ne peut pas le changer, mais l'avenir, quant à lui, on peut le préparer.
- Papa...
- Allez, sèches-moi ces larmes, et va te débarbouiller le visage. Pendant ce temps, je vais nous préparer un bon repas !
Grainné essuya doucement ses joues humides, et lui sourit tendrement.
- D'accord !

Le repas fut merveilleux, et il fit presque oublié à la jeune femme tous les problèmes qu'elle avait évoqué quelques heures plus tôt. Ils entamèrent ensuite une discussion joyeusement animée portant sur une partie de chasse à laquelle ils avaient participé il y a de cela quelques mois. Fatiguée, Grainné parti finalement se coucher.
Une fois dans son lit, elle réfléchit longuement. Elle était enfin de retour chez son père, avec qui elle avait créé une relation inédite, bien plus forte qu'avec Isil, qui l'avait pourtant élevé comme sa fille. Mais elle avait comme qui dirait un pincement au cœur. Elle avait beau se répéter en boucle que ce n'était pas de sa faute, une part d'elle persistait à croire qu'elle aurait pu changer les choses. Et pour ne rien arranger, Grainné n'avait plus eu aucune nouvelle de Binaire depuis sa séparation avec Médée et Atalante, comme si la démone eu senti la peine et la détresse de son amie, mais qu'elle su pertinemment que ce n'était pas à elle de régler cette affaire. Ce fut donc avec ces sombres pensées que Grainné tomba dans les bras de Morphée.

Lorsqu'elle rouvrit les yeux, Grainné constata qu'elle n'était plus dans son lit, ni même dans sa chambre. Il lui semblait qu'elle était allongée à même le sol, et cet indice supplémentaire piqua grandement sa curiosité. Elle se releva donc, et remarqua qu'elle se trouvait dans une sorte de tente en toile et en peau de bête.
- Mais où est-ce que je suis... ?
Elle baissa alors la tête, dans l'espoir de se souvenir comment elle avait atterri ici. Son regard se posa automatiquement sur ses mains, qui paraissaient plus foncées que d'ordinaire, et de longs cheveux blancs s'abattirent avec légèreté sur ses avant-bras.
- Hein ?!
Elle se saisit de cette crinière nouvelle, et l'examina avec la plus grande perplexité.
Soudain, un enfant surgit dans le tipi, et fixa la jeune femme avec un énorme sourire.
- Attila, les hommes sont rentrés de la chasse !
« Attila ? »
Grainné ne comprenait pas, et le garçon lu l'incompréhension sur son visage.
- Attila, qu'y a-t-il ?
« C'est à moi qu'il parle ? Non, c'est impossible... Si, je crois bien que c'est à moi qu'il parle ! »
- Heu, c'est que...
- Allez Attila, dépêches-toi !
La jeune femme hésita, puis se décida à se lever. Elle suivit l'enfant jusqu'au dehors, et fut frappée par le paysage glacial qui s'offrait à elle : de la neige et d la glace à perte de vue. Elle constata aussi que d'autres tentes comme celle dont elle s'était extraite les entouraient.
- Regarde, ils sont là-bas !
Il attrapa la main de Grainné et l'entraîna vers un groupe d'hommes bien trop froidement habillés pour le temps qu'il faisait. Arrivés à leur hauteur, un homme d'une quarantaine d'années tout au plus, se tourna vers Grainné et lui caressa tendrement la tête.
- Tu viens accueillir ton vieux père, Attila ? Ça me fait vraiment plaisir !
Grainné était véritablement troublée, car elle ne savait ni où elle était, ni à qui parlaient ces gens. Attila ? Jamais entendu parler. Mais en regardant plus attentivement, ces gens paraissaient avoir la même physionomie que Binaire. Cette peau légèrement basanée, ces cheveux blancs comme la neige et ces petits yeux rouges ; ça ne faisait aucun doute : elle se trouvait chez les géants de glace. En fouillant dans sa mémoire, elle se souvint d'ailleurs avoir déjà aperçu ces décors spectaculaires dans ses rêveries enfantines. Mais ce corps, quant à lui, n'était décidément pas le sien. La question était donc évidente : à qui appartenait-il ? Elle n'eut même pas le temps de plonger dans ses réflexions, car déjà on la sollicitait pour aider à la préparation du repas. Elle aurait voulu protester, mais elle y réfléchit plus amplement et en déduisit que ce n'était pas la meilleure solution. Elle se laissa donc entraîner, et aida aux tâches ménagères toute la journée.
Lorsque le soir arriva, Grainné se posa devant le grand feu que les habitants se partageaient.
« Je comprends pourquoi Binaire aimait tant cet endroit, c'est un vrai paradis... »
Elle resta là, à contempler la danse captivante des flammes, dans le silence le plus total. Et sans s'en rendre compte, elle s'endormit profondément.
Elle fut réveillée par des cris de panique. Les glaciers avaient disparus pour faire place à un brasier digne de celui des Enfers. De nombreux cadavres gisaient au sol, baignant dans une mer de sang.
- A l'aide ! A l'aide !
Grainné reconnue immédiatement la voix du petit garçon qu'elle avait rencontré quelques heures plus tôt. Elle le trouva à quelques mètres seulement d'où elle se trouvait, sur le point d'être tué. Elle s'élança alors à son secours, mais une lame vint soudainement, et d'une violence inouïe, se loger dans son bas ventre.
- Qu'est-ce que...
- Meurs, sale monstre.
Grainné cracha du sang et s'écroula. Elle distingua alors vaguement la silhouette de son assaillant.
- Pourquoi...
- Au nom d'Odin notre père, vous devez périr.
« Odin ? Ah, c'est donc Asgard. Les dieux, toujours les dieux... Vont-ils un jour cesser de répandre la mort et le malheur sur leur chemin ?! »
- Soyez... maudits...
- Mais oui, bien évidemment.
Sur ces mots, il brandit son épée et lui trancha la tête.
- Aaaah !
Grainné se réveilla en sursaut, dans la petite chambre que lui avait donné son père. Elle ramena automatiquement ses mains sur son ventre, puis à son cou, et constata avec soulagement qu'elle n'avait rien.
- C'était sûrement un rêve... Chuchota-t-elle. Mais il paraissait tellement réel... On aurait dit...
Mais elle ne pu terminer sa phrase, horrifiée par ce qu'elle allait prononcer. Elle venait enfin de réaliser que ce songe était loin d'être imaginaire : ce n'était que le vieux souvenir d'une nuit d'horreur gravé à jamais dans la mémoire pleine de haine d'une certaine Binaire.
Le lendemain, à huit heures tapantes, elle était prête à partir.

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