*Grainné*

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« Grainné,
Tu as seize ans maintenant, et tu es très certainement devenue une magnifique jeune femme, je n'en doute pas une seule seconde.
Pour ma part, je ne sais ni où je serai ni si je serai encore en vie dans seize années. Mais entre nous, je suis sûre que ça ne t'intéresse pas tant que ça. Tu te doute donc bien que cette lettre ne t'indiquera pas où je me trouve au moment où tu la lis.
Bref, parlons d'un sujet plus important. Je ne sais pas si Isil t'a déjà parlé de la marque que tu possède sur ton bas-ventre : l'étoile à huit branche. À l'heure où je t'écris, vous êtes cinq personnes à la posséder.
Malheureusement, deux d'entre elles ont été tuées, justement pour cette raison. C'est pour ça que je te mets en garde : n'en parle jamais à personne. Oui, personne ne doit savoir que tu détiens cette marque, car on pourrait te tuer pour cela. Elle est la preuve que tu renfermes un pouvoir sans limite capable de terrasser les dieux. Les autres détentrices de ce pouvoir ne sont autres que Médée, fille d'Isil, et Atalante, fille de Trecy. Vous êtes destinées à des grandes choses, mais si vous vous y prenez mal, ce pouvoir vous mènera à votre perte. Alors s'il te plaît, veille sur elles.
Si toutefois tu souhaitais acquérir de la puissance, pour mener à bien cette mission que je veux te confier, je peux te fournir une aide qui te sera précieuse: je sais où est ton père. Je te préviens, il ne connaît pas ton existence, car j'étais jeune et j'ai fui bêtement devant mes responsabilités. Et je fui encore aujourd'hui. Si tu ne veux pas savoir qui il est, alors range cette lettre et continue ta vie sans plus jamais te soucier de nous. Si tu souhaites le contraire, alors écoutes-moi attentivement.
Ton père se nomme Caïlte Fanalis. C'est un guerrier Fianna de grande renommée, qui saura faire de toi une guerrière redoutable. Tu le trouveras à l'entrée de la Forêt Noire, à la frontière du Royaume de Fianna. Dis lui que c'est Fiona Maccumhail qui t'envoie, il comprendra.
Maintenant, c'est à toi de jouer. Bonne chance ma fille. »

- Alors, c'est cette forêt dont elle parlait ? Qu'est-ce que c'est glauque... Franchement, pourquoi quelqu'un viendrait se planquer ici ?
Après un moment d'hésitation, Grainné se décida finalement à s'introduire dans cette mystérieuse forêt qui lui faisait face.
Au bout d'une dizaine de minutes de marche, elle arriva devant un petit cabanon qui semblait presque à l'abandon.
- Pitié, faites que ce ne soit pas lui...
Elle toqua à la porte et attendit, mais personne ne vint. Elle frappa une seconde fois, mais le résultat fut identique.
- Je vais pas entrer quand même...
Elle posa fébrilement la main sur la poignée, et s'apprêtait à la tourner.
- Je peux peut-être t'aider ?
Elle sursauta, puis se tourna vers son interlocuteur.
- T'es qui, gamine ?
- Je... Je m'appelle Grainné...
Il l'ignora, ouvrit la porte de sa misérable demeure, et se tourna enfin vers elle.
- Bien, Grainné. Je sais pas comment t'es arrivée jusqu'ici, mais je te conseille de partir, tu n'y trouveras pas ce que tu cherches.
- Vous êtes bien Caïlte Fanalis ?
Il parut surpris.
- Oui, pourquoi ?
- Ma demande va sans aucun doute vous paraître ridicule, mais je vous en prie, entraînez moi. Faites de moi une guerrière, c'est tout ce que je souhaite.
Il la fixa longuement, puis se mis à rire.
- Excuses-moi gamine, dit-il les larmes aux yeux, mais je crois avoir mal entendu. Une femme peut pas devenir combattante. Retourne chez toi, tes parents vont s'inquiéter.
Grainné serra les dents.
- Je le savais. Je ne sais pas pourquoi je l'ai écoutée ! Elle m'avait dit que vous étiez l'un des meilleurs, mais elle s'est trompée : il n'y a en face de moi qu'un raté.
Elle saisit l'enveloppe dans sa poche et lui jeta à la figure.
- Mais t'es pas bien...
- Sachez monsieur le grand guerrier que je n'ai plus de chez moi, et que je n'ai jamais eu de parents !
Elle lui lança un dernier regard haineux, avant de quitter en furie la forêt.
- Mais qu'est-ce qui lui a pris à cette gamine ?
Il referma violemment la porte derrière lui et partit s'asseoir sur une des chaises de la cuisine. Il remarqua alors qu'il n'avait pas lâché la lettre que Grainné lui avait envoyé, et par curiosité, décida de la lire.

                             ~~~

- Tiens, le soleil va bientôt se coucher...
Grainné fixait le ciel, les yeux dans le vague. Ces derniers temps, tout s'était passé si vite : hier elle riait et aujourd'hui ne savait même pas ce qu'elle mangerai ce soir.
- Je suis tombée bien bas...
Elle pensait à sa vie passée et future, et ses amies lui revinrent à l'esprit. Où étaient-elles ? Que faisaient-elles ? Et elle, qu'allait-elle faire maintenant ? Elle n'en avait pas la moindre idée. Pour tuer des dieux, il faut de la détermination. En avait-elle assez ? Sûrement pas. Médée était remplie de tristesse, ce qui la rendait encore plus dangereuse. Et Atalante, elle, n'allait très certainement pas tarder à se fourrer dans le pétrin, le genre dont Grainné aura du mal à la sortir. Et elle, était-elle triste ? Sur le coup, elle l'avait été, mais ça lui était passé. Non, maintenant elle était en colère. Elle brûlait d'une haine destructrice, qui la faisait fondre de l'intérieur. C'était comme si ce jour-là, une autre personne s'était installée en elle, pour lui souffler sans arrêt des idées de meurtres.
- C'est donc ici que tu te cachais.
Grainné sursauta, mais se referma immédiatement quand elle aperçu Caïlte. Il se posa à côté d'elle, puis lui tendit l'enveloppe.
- Tiens, il me semble que ça t'appartiens.
- Je n'en veux pas. Brûlez la si ça vous chante.
- Comme tu voudras. Dit-il en la rangeant dans sa poche.
Il se tut et fixa à son tour le ciel à présent étoilé.
- Tu aurais dû me le dire dès le début.
- Je n'en avais pas envie.
- Pourquoi ça ?
- Parce que je ne suis pas venue chercher un père, mais de la puissance. Si vous n'êtes pas capable de me la donner, alors je n'ai aucune raison de rester davantage.
- Tu es bien dure.
- Je n'ai pas le choix, en lisant la lettre, vous avez sans doute appris ce que j'étais. Moi-même je ne sais pas vraiment ce que ça veut dire, mais la femme qui nous a élevées, Médée et moi, nous en a un jour parlé : elle nous a dit que les dieux détestaient les Inhumains. Si je veux survivre, je dois devenir plus forte. Et puis...
- Qu'y a-t-il ?
- Je dois les protéger. Si je ne le fais pas, personne d'autre ne veillera sur elles.
- Je vois. Mais j'ai une petite question : tu veux devenir plus forte, uniquement pour les protéger ?
Grainné fut surprise.
- Comment...
- L'instinct. C'est quelque chose qui se développe à la guerre. Tu ne me dis pas tout, et je ne peux pas accepter de t'entraîner si il y a des choses que tu me cache. Alors ?
- J'ai la haine. Les dieux ont brûlé mon village et tuer ma seule famille. Je les hais, et je veux leur mort : ma colère ne sera pas apaisée tant qu'ils vivront.
- Je comprends mieux. Je pense qu'il va donc falloir travailler la dessus. Ah, on en a du boulot !
- Alors... Vous allez m'entraîner ?
- Bien sûr, je ne peux pas laisser ma fille dans le besoin. Et puis pour commencer, arrête de me vouvoyer, ça me dérange.
- D'accord.
Il se leva, et Grainné l'imita.
- Allez, il se fait tard, on ferai mieux de rentrer. Cette nuit, repose toi bien, car on commence dès demain matin !
Grainné sourit.
- Compris.

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