*Adieu*

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Il faisait nuit noire. La forêt était silencieuse, et seule la lumière de la pleine lune éclairait les petits sentiers escarpés du bois dormant.
Grainné attendait, debout et tremblante. Ce qu'elle s'apprêtait à faire, elle le redoutait. Son père avait pourtant essayé de l'en dissuader, mais elle n'avait rien voulu entendre. Médée était seule : à part Atalante et elle, la jeune femme n'avait pas de famille. Grainné ne pouvait donc pas l'abandonner.
Au loin des torches apparurent, et des cris de fureur lui parvinrent. Elle empoigna sa lance, et les observa s'avancer dans sa direction. Quand ils l'aperçurent , ils se stoppèrent immédiatement. Tous n'étaient que des hommes, armés de simples fourches pour les uns, et d'épées et de lances pour les autres. L'un d'eux pris la parole.
- Es-tu Médée la sorcière ?!
Elle ne répondit pas.
- Parle !
- Rebroussez chemin. Vous ne trouverez que la mort si vous osez continuer.
Ils la fixèrent sans vraiment comprendre le sens de ses paroles.
- Ne me fais pas rire ! Nous sommes bien plus nombreux que toi ! Si tu ne nous réponds pas, nous serons dans l'obligation de te tuer ! Pour la gloire des dieux d'Asgard !
La colère s'empara de la jeune femme.
- Alors mourrez.
Elle se jeta sur eux et embrocha celui qui, jusqu'à présent, était son interlocuteur. Le temps que les autres réagissent, elle en profita pour en décapiter quatre, puis s'élança sur le groupe restant.
« Même si je suis techniquement bien plus forte qu'eux, leur nombre va me poser problème. Mais heureusement pour moi... »
Ses adversaires se reprirent enfin, et l'encerclèrent. Ils s'apprêtaient à l'attaquer quand elle soupira.
- Oui, heureusement pour moi, le pouvoir de Binaire coule encore dans mes veines.
Des pics de glace jaillirent du sol et empalèrent ses opposants. Elle examina un moment le sang se déverser à flot, des pauvres cadavres ridés par la peur. Cette vision lui donna d'ailleurs une affreuse nausée
- Tu ne devrais pas relâcher ton attention !
Elle eu tout juste le temps de se retourner, qu'une lame lui traversa le flanc droit. Comme par instinct, elle se saisit plus fermement de sa lance et l'enfonça dans la poitrine du paysan qui l'avait blessé. Celui-ci cria de douleur, puis s'écroula.
Grainné ne bougeait plus. Elle ne faisait que considérer le massacre auquel elle s'était adonnée.
- Ils n'étaient pourtant pas des criminels... Ils étaient des gens ordinaires...
Des larmes de rage mêlées à de l'incompréhension lui échappèrent.
- C'est donc ainsi que fonctionnent les dieux ?! Ils sont même prêts à envoyer au combat des innocents, tout en sachant qu'ils y mourront ?! Ont-ils si peu de considération pour la vie ?! Quelle sorte de lâches sont-ils ?!
Elle appuya vigoureusement sur sa plaie qui ne cessait de saigner.
- Je les tuerai tous... JE LES TUERAI TOUS !
Elle se calma, puis posa son regard son regard sur le petit sentier qui s'enfonçait plus profondément dans la forêt.
- Maintenant... allons retrouver Médée.

Grainné avançait lentement. Chacun de ses pas était un supplice, et elle se rapprochait dangereusement du châtiment final. Si son amie se trouvait bien en haut de ce chemin, alors elles devraient avoir une longue conversation. Elles devaient mettre certaines choses au clair.
Elle déboucha finalement sur le sommet d'une petite falaise. Elle balaya les lieux du regard, et celui-ci se posa sur une jeune femme aux vêtements déchirés, à la peau meurtri et se tenant la tête de ses mains tremblantes.
Grainné reconnu Médée, non sans difficulté : celle-ci était méconnaissable, notamment par une importante perte de poids.
- Médée... Que t'est-il arrivé ?
La sorcière leva les yeux vers son interlocutrice, mais ne sembla pas la reconnaître. Grainné recula d'un pas : elle avait un très mauvais pressentiment.
- Médée...
- Pourquoi...
- Hein ? Qu'y a-t-il ?
- Pourquoi... t'en être occupé... Nous aurions pu... les tuer nous-même...
- « Nous » ? Médée qu'est-ce que tu raconte ?
- Nous aurions pu... Nous voulions les tuer...
- Quoi ?!
Grainné s'énerva.
- Médée, je ne sais pas ce qui t'arrive, mais il est temps que tu te reprenne ! Écoute-toi un peu, tu dis vraiment n'importe quoi !
La sorcière pouffa, puis éclata de rire.
- Mais qu'est-ce que...
- Médée... Ahah ! Médée n'existe plus ! Nous l'avons assimilée ! Elle fait partie de nous maintenant ! Ahahah !
Grainné compris enfin. Ce comportement, ce pressentiment... tout était clair à présent. Oui, elle avait échoué. Sa seule et unique mission, son seule et unique but, c'était de les protéger. Mais elle était arrivé trop tard : le démon avait pris possession de Médée. Binaire l'avait pourtant prévenue...
« Non, il n'est pas trop tard ! »
Grainné avança d'un pas décidé vers son amie, et la saisit par les épaules.
- Rends-la moi ! Tu entends ?! Rends-moi Médée !
Le démon rit de plus belle.
- Il est trop tard ! Il est trop tard ! Elle est à nous !
- Non, il en est hors de question ! Je n'abandonnerai pas ! Si je n'ai pas pu t'empêcher de la posséder, alors je t'exorciserai !
« Bonne réponse, Grainné. »
Soudain, tout devint flou autour de Grainné, si bien qu'elle dû fermer les yeux. Quand elle les rouvrit, elle se trouvait dans une immensité blanche, et face à elle se tenait fièrement l'ombre, ou plutôt le démon, qui avait pris la place de Médée.
- Où suis-je ? Questionna Grainné. Dans mon subconscient ?
- Non, dans celui de Médée.
La jeune femme sursauta et se tourna vers la personne qui venait de parler : Binaire.
- Binaire ?! Mais qu'est-ce que...
- Plus tard. Pour l'instant, il y a plus important.
Elle lui désigna le démon, qui ne cessait de sourire.
- On n'a plus le choix : il faut le détruire.
- Ça je le sais parfaitement ! S'écria Grainné. Mais si je le tue, Médée mourra avec lui !
- Pas obligatoirement. Expliqua Binaire. On peut toujours pratiquer un exorcisme.
Grainné avait du mal à la suivre.
- Tu sais, quand j'ai dis ça tout à l'heure, c'était sur le coup de l'énervement. Je n'étais pas sérieuse...
- Eh bien moi je le suis.
Elle souffla.
- Bon, maintenant, tu vas attentivement m'écouter Grainné, compris ?
La jeune femme acquiesça, tout en gardant un œil précautionneux sur l'ombre, qui ne semblait pas avoir l'intention de bouger.
- Bien. Tu as dû remarquer que depuis l'incident des Valkyries, je n'étais plus en toi. En réalité, je faisais des recherches, plus précisément sur la façon de dissocier un démon de son possesseur. Je te vois venir : oui j'ai quitté ton corps, mais ça ne veut en aucun cas dire que j'ai pu me matérialiser dans ton monde : j'aurai eu besoin de te posséder pour ça. Je suis simplement retourné au Valhalla. Figure-toi que les morts savent énormément de choses, et j'ai notamment appris comment pratiquer un exorcisme.
Grainné avait du mal à tout assimiler, mais en avait au moins saisi l'essentiel : elle allait pouvoir sauver Médée.
- Alors vas-y, je t'écoute, Binaire. On a plus de temps à perdre !
- C'est on-ne-peut-plus-simple : il te suffit, toi en tant qu'humaine, d'utiliser le pouvoir d'un démon en fusionnant avec lui. Tu possède déjà mon pouvoir, alors il ne te reste plus qu'à me tuer cette imposture qui se dit démon !
- Pas besoin de me le dire deux fois !
Grainné se jeta sur l'ombre, et lui balança une rafale de pics de glace, qu'elle esquiva sans grande difficulté.
- Grainné n'oublie pas, intervint Binaire, tu te trouve dans la conscience de Médée : c'est son terrain, il y a vécu pendant des années. Il va falloir bien plus que tes petites attaques pour en venir à bout !
- Je vois...
La jeune femme se stoppa dans son élan, et réfléchit calmement.
« Elle a raison : à ce rythme là, on en finira jamais. Il faut que je trouve une autre solution ! »
- Binaire, il te reste beaucoup de pouvoir ?
- Je t'ai donné la moitié.
- Alors donne m'en plus.
La démone ne su pas quoi répondre.
- Hein ? Et pourquoi je ferai ça ?!
Grainné hésita. Elle avait un plan, mais il était risqué.
- Je vais détruire cet endroit. Mais... j'ai pas assez de puissance.
La jeune femme s'attendait à ce que son amie désapprouve, mais elle n'en fit rien.
- Je vois. C'est audacieux. Tu sais qu'il n'y a qu'une chance sur deux que ça fonctionne ? Et si jamais ça échouait...
- Je sais. Alors Médée ne deviendrait qu'une coquille vide. En détruisant complètement sa conscience, c'est ce qui arrivera inévitablement. Mais je ne détruirai pas tout : je m'arrêterai juste au bon moment. Je ne vois pas d'autre solution.
Binaire sourit.
- Bien, alors faisons ça.
La démone s'avança et posa sa main sur le dos de sa coéquipière. Grainné discerna soudainement une énergie nouvelle parcourir son corps. Celle-ci lui glaça le sang, mais régénéra ses muscles. Sa sensibilité augmenta, ses poils se hérissèrent : elle sentait la puissance monter en elle. Elle laissa celle-ci s'accumuler dans tout son être, jusqu'à ce qu'elle soit sur le point d'exploser.
- C'est parti !
Elle relâcha tout d'un coup, et un torrent de glace se déchaîna dans la pièce, la fissurant de tous les côtés. Mais elle tenait bon, ce qui n'était pas le cas de l'ombre : elle luttait comme elle pouvait, mais le pouvoir glacial de Grainné et Binaire la congelait à grande vitesse.
- Non... Nous ne voulons pas disparaître... NOUS NE VOULONS PAS DISPARAÎTRE !
Binaire saisi le bras de Grainné.
- Partons maintenant, sinon on va y passer aussi.
Grainné accepta, et se laissa entraîner sans rien dire. Quand elle rouvrit les yeux, elle se trouvait de nouveau sur la falaise, devant le corps encore inconscient de Médée. Elle fini par se réveiller, se releva difficilement et fit face à son amie.
- Grainné je...
- Non. C'est à moi de parler. Et tu vas attentivement m'écouter. Je... J'en ai assez. Je ne sais ni pourquoi ni comment tu t'es fourrée dans cette situation, mais mon père a raison : il est temps que tout ça cesse. Tu es libérée de ton démon à présent, alors fais ce que tu veux. Fuis, cache-toi si ça te chante, je m'en fiche. J'ai décidé qu'à partir d'aujourd'hui, je coupais les ponts. Désormais, je ne m'occuperai plus d'Atalante, ni même de toi. Débrouillez-vous.
Elle se retourna.
- J'en ai assez de me salir les mains pour des personnes qui s'en moquent complètement.
- Grainné attends...
- Adieu, Médée.
Puis elle disparu dans l'obscurité de la forêt, laissant la pauvre sorcière à ses lamentations.

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