Le Secret de la Montagne

Chapitre 2 - Au Cerf Blanc

Assis sur une chaise sculptée d'arabesques, molletonnée par un coussin décoré d'un canevas de coton représentant des roses d'un bleu pâle, Tercês dévorait goulûment le contenu de son assiette de faïence peinte d'une rosace d'un bleu foncé: des oeufs au plat et des morceaux de viande très salés - sûrement du sanglier séché.

Installé par terre, Gnas le regardait faire, ne comprenant pas l'intérêt de se tenir recroquevillé face à une table: la peau de renne posée devant la cheminée de marbre blanc veiné de gris gras lui paraissait bien plus confortable que ces macabres sièges en os d'arbre. Il poussa un soupir d'exaspération puis retourna à sa gamelle.

Emra, assise en face de Tercês, observait les tableaux représentant des jardins fleuris de bleu dans lesquels se promenait un cerf d'une blancheur éclatante, presque spectrale, mais qui pourtant dégageait comme une aura de sérénité.

La lumière du Soleil frappait les vitraux couleur ciel ornés de faons blancs et bondissants, formant une attendrissante farandole sauvage, insouciante, innocente.

Quand Tercês eut fini son repas, il commença à s'intéresser à ce drôle de décor, le trouvant peut-être un peu trop chargé, surtout si l'on ajoutait à tout cela les titanesques bois de cerf, tombés de façon naturelle, qui ornaient le dessus de la cheminée située pile au centre du mur, entre les quatre tableaux, face aux vitraux formant autour d'elle un demi décagone.

La vaste table ronde, couverte d'une nappe bleue puis d'une seconde nappe aux motifs floraux brodés en fils blancs laissant voir la première à travers le centre de chaque fleurs et les espaces entre chaque pétales, était entourée de douze chaises toutes identiques à celle de Tercês.

Emra se leva quand Gnas ôta son museau ensanglanté de sa gamelle désormais vide. Sans attendre, elle le débarbouilla malgré ses sifflements d'agacement. Le jeune amnésique regarda faire la guerrière, le regard teinté d'interrogation. Lorsqu'elle s'en aperçut, elle lui expliqua la raison de son geste:

" - Si je ne le nettoie pas, il risque d'en mettre partout. Et il ne s'essuiera pas lui-même, car il trouve ça inutile

- Mais... Pourquoi mange-t-il par terre?

- Il aime bien, c'est tout. Il fait comme il veut, tant que ça n'embête personne. D'ailleurs les gens préfèrent le voir comme un chien soumis que comme un homme libre. Donc c'est plus rassurant pour eux de le voir au sol.

- Pourtant il t'obéit..."

La guerrière haussa les épaules.

" - C'est son choix. Il fait ce qu'il veut. Il a le droit de refuser un ordre. Je ne sais pas pourquoi il m'obéit. Il est plus fort que moi et en est conscient: il est tout sauf soumis."

À ces mots, Emra grattouilla le côté de la tête de l'Assoiffé, qui se mit à pousser un grondronnement sourd. Tercês ne parvint pas à déterminer si la caresse agaçait Gnas ou si, au contraire, il l'appréciait. La guerrière se releva en s'adressant de nouveau à l'amnésique:

" - Je te retrouve dans la salle principale de l'auberge dans une vingtaine de minutes. D'ici là, tâches de te laver un peu: personne ne te laissera essayer de casque, avec des cheveux dans cet état."

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Tercês, les cheveux encore trempés, toujours vêtu de ses habits trop grands pour lui, attendait Emra près du comptoir de l'auberge.

Cette pièce était plus rustique, moins délicate que le salon, et assez sombre. La tête d'un immense cerf, d'un brun presque noir, ornait le dessus de l'immense cheminée de granit noir. C'était là la seule fantaisie. Tout le reste n'était que purement pratique: tabourets, tables et comptoir, tout en bois et sans gravures.