Le Secret de la Montagne

Chapitre 9 - Attendus

"Que fais-tu là, Rihorrim?"

La voix d'Emra avait percé l'air telle une flèche que l'on décoche. Elle avait lancé cela sans hésitation, d'une voix parfaitement assurée. Pourtant, la personne qui se tenait face à elle n'avait plus rien de la jeune femme rousse: l'être releva la tête, laissant voir sa face masculine couturée de cicatrices. Son regard était plus oppressant, étouffant, qu'un nuage de cendres, tout en étant plus dur que l'acier.

Tercês n'aimait pas du tout ce regard. Un regard si terrible ne pouvait pas, selon lui, appartenir à une bonne personne. Aussi voulait-il bien croire que l'Hommiroir était incapable de choisir son apparence; mais rien n'aurait pu le convaincre du fait que l'être n'était pas non plus maître de ses expressions.

" - Je vous accompagne dans votre quête, ainsi que me l'a conseillé Elkaro.

- Comment savais-tu que nous passerions par ici?

- Je t'ai entendue discuter avec le demi-humain... Je veux dire l'assassin qui vous suit: vous vous rendez à la ville frontalière de Requiem", un petit claquement électrique avait déclenché chez l'Hommiroir une irrépressible envie de se corriger quant-au nom utilisé pour désigner Strom.

" - Et comment as-tu su que nous passerions exactement par ici?

- C'est le seul sentier qui mène à cette ville. Ce n'est pas une destination très prisée, on ne trouve là-bas que ceux qui ne peuvent plus se rendre utile ailleurs. Enfin, peu importe. Je suis là, et c'est tout. "

Emra haussa les épaules en guise de réponse. L'être pouvait se joindre à eux, si c'était là son souhait. Elle n'y voyait aucune objection, malgré l'agacement de Strom et la méfiance de Tercês à l'encontre de l'Hommiroir.

Gnas, de son côté, semblait apprécier cette personne; ce qui n'était pas donné à tout le monde. Il vint saluer Rihorrim, restant à sa hauteur alors que le groupuscule progressait sur le fin sentier, quasi invisible, qui serpentait entre les arbres aux feuilles émeraudes.

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Peu avant le couché du Soleil, Emra proposa de monter le camps. Personne n'y vit d'objection, alors ce fut fait. C'est ainsi qu'il se retrouvèrent tout les neuf - en comptant chaque être - autour de trois lapins rôtissant doucement à la broche, au dessus d'un feu de camp.

Tercês était fasciné par l'éclat des flammes projeté alentour. Ces gouttes de lumière caressaient doucement les herbes sauvages au grès de la brise.

Soudain, une ombre se faufila sous les lueurs. Une silhouette à fourrure brune enchevêtrée de roux. Gnas. Il reniflait quelque chose, comme si il avait flairé une piste intéressante. Le jeune homme observa l'Assoiffé s'éloigner. Il se tourna ensuite vers Emra, pour l'informer de l'évasion de Gnas, mais il se rendit compte qu'elle observait également l'homme aux griffes d'acier.

Il avait quitté le champ de vision de l'amnésique et de la guerrière depuis à peine quelques secondes, quand il revint en galopant sur trois pattes. Gnas serrait quelque chose contre lui. Une charogne de faon. Tercês sursauta, horrifié à la vue de ce petit être décharné, mort depuis plusieurs jours et déjà grouillant de vermine. Il eut un haut-le-coeur lorsque l'Assoiffé ouvrit la bête à l'aide de ses griffes, laissant s'écouler une rivière d'asticots.

Étrangement, Gnas faisait particulièrement attention à ce que chaque insecte tombe sur une pierre devant lui. Il secoua un peu le pauvre cadavre pour en chasser les derniers habitants.

Tercês courut se réfugier derrière un buisson au feuillage épais, lorsque Gnas plongea son museau dans le tas de créatures blanchâtres afin de les dévorer. L'amnésique ne pu se retenir de vider ses entrailles au pied de la plante. Emra haussa le ton pour détendre l'atmosphère:

" - Donc, Rihorrim, pourquoi souhaites-tu nous accompagner? Je veux dire, au delà du fait que le devin te l'ait conseillé.

- Je n'ai pas envie d'en parler. Je vous connais à peine.

- C'est plutôt nous qui devrions nous méfier: c'est toi qui t'incrustes ", contra sèchement Strom

Rihorrim fronça les sourcils, ne sachant pas comment prendre cela.

La réplique de Strom avait laissé comme un blanc. Emra ne pouvait pas le réprimander, car il avait objectivement raison, et l'Hommiroir n'avait apparemment aucune envie de répondre. Tercês revint s'asseoir près du feu, faisant bien attention à ne pas regarder Gnas. Les lapins étaient enfin cuits. Il refusa d'abord de manger, encore trop dégoûté, mais Emra réussi finalement à lui faire avaler quelque chose.

Ainsi, le repas se finit en silence.

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Le lendemain, dès l'aube, alors que blanchissait la campagne, ils partirent, voyez-vous, ils se savaient attendus. Attendus par l'aventure.

Celle-ci les appelait, alors nos amis levèrent le camp. Ils s'engagèrent d'un bon pas sur le sentier; car, aux aurores, il y a toujours dans l'air un je-ne-sais-quoi de stimulant.

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À l'entrée d'un hameau sans nom, Strom enfila son masque. Cette loi concernant les assassins devait être suivie même dans ce genre d'endroit. Il ne fut d'ailleurs pas étonné des regards tantôt méfiants, tantôt apeurés, des habitants de la petite bourgade lui adressaient.

C'est alors que Rihorrim interpela Emra:

" - Je connais un raccourci, pour se rendre à Requiem. Il suffit de couper à travers ce bois, à notre droite, et de poursuivre jusqu'à rejoindre un village de fermiers, en Shandragon.

- Hors de question que l'on te suive", lança Strom

" - Allons, ce que dit Rihorrim est tout à fait raisonnable: le sentier contourne ce bois, le suivre nous fera perdre du temps ", argumenta la guerrière

" - Mais... Et les montures? Les chevaux, ce n'est pas fait pour marcher à travers bois sans aucune piste... ", avança Tercês

" - Le terrain est assez plat, aucun risque à ce niveau là. "

L'Hommiroir ne laissait transparaître aucune hésitation dans sa voix. Malgré un long débat mettant en avant la méfiance de Tercês et l'agacement de Strom, il fut finalement décidé que l'on suivrait Rihorrim.

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Strom fermait la marche, l'air vexé par le fait que l'on n'ait pas suivi ses conseils. À peine quelques mètres devant lui, Tercês se disait qu'il le comprenait quand même un peu. Néanmoins, si il se méfiait de l'Hommiroir, il devait bien avouer que cet être avait raison: plus un voyage est court, moins on est fatigué une fois arrivé à bon port.

Soudain, Rihorrim s'arrêta net. Emra retint son cheval, afin de l'empêcher de l'écraser - Tobias était en effet dressé à foncer sur les obstacles bloquant son passage, si l'ordre lui était donné d'avancer.

"- Qu..."

Tercês ne finit pas sa phrase, se rendant compte du silence pesant qui régnait alentour. Elleiro écarquilla les yeux en dressant l'oreille, tandis que Cork humait l'air.

Le jeune amnésique sursauta et sa mule manqua de cabrer lorsque Enrokyl, la monture de Strom, hénnit. Tercês réussi à calmer sa mule. De son côté, l'assassin peinait à retenir sa jument qui n'avait qu'une seule idée en tête: fuir.

Emra cria quelque chose. Tercês ne l'entendit pas, car Cork venait de pousser un couinement de douleur. Une flèche sortie de nulle part était venue se planter dans son omoplate.

L'amnésique hurla au Métalycan de s'enfuir, mais celui-ci préféra foncer sur un homme en armure de cuir à l'air peu avenant. Emra sauta de cheval et dégaina son épée. Elle saisit le Métalycan par le collier et le tira en arrière, lui évitant ainsi de recevoir un coup de hache en plein crâne.

Une douzaine d'hommes grouillèrent or de leurs cachettes. Certains sortirent des buissons, tandis que d'autres descendirent des arbres. Tous étaient armés. Des bandits. Ils encerclaient le groupuscule. À leur rapidité d'action, on aurait dit qu'ils les attendaient de pied ferme.

Rihorrim avait disparu.