Chapitre 15 - La Mélopée de la Mort

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Allongée sur le dos, ses yeux azurs mi-clos plongés dans le vide, la cible somnolait tranquillement, bercée par un doux chant - de petites paroles à la limite de l'audible susurrées au loin, qui l'empêchaient de sombrer dans le sommeil autant qu'elles l'endormaient.

Lentement, presque imperceptiblement, la mélancolique mélodie se rapprochait. Comme une goutte roulant le long d'une feuille se rapproche peu à peu du vide la séparant du sol. Les mots gouttaient, oui, comme une douce pluie.

Les idées peu claires, la cible se sentait totalement détendue, ayant l'impression de flotter dans un océan de douceur.

Pourtant, alors que la mélopée s'amplifiait, une sensation grisante s'emparait de la cible. Quelque chose allait se passer.

La cible se redressa soudain. Le chant avait cessé. Il ne régnait plus dans la pièce qu'un pesant silence. Si pesant, après une si agréable mélodie, que la cible en avait perdu sa propre voix.

Les susurrements reprirent tout à coup dans les oreilles mêmes de la future victime. De surprise et de peur, son souffle se coupa. L'empêchant de hurler. L'empêchant d'alerter qui que ce soit.

Alors, l'assassin frappa, enfonçant sa lame d'acier en travers de la gorge de l'être à exécuter. Il eu encore le temps de voir toute la terreur, toute la souffrance, exprimées par les yeux de ce dernier, avant te tout trancher d'un coup sec: carotide, jugulaire, ainsi que trachée. Tout en un seul et unique geste, condamnant sa cible à une mort certaine.

Il essuya sa lame sur les coussins n'étant pas encore souillés par le sang. Puis, il partit dans le but de retourner où il logeait.

Au détour d'un couloir, longé par des vasistas donnant sur la rue, il fut contraint de s'arrêter. Un silhouette sombre lui barrait la route. Sous son faux visage de bois inexpressif, l'assassin ne put retenir un petit sourire narquois. Celui ou celle qui se tenait face à lui portait également le masque des assassins.

" - Tu arrives trop tard, les travail est fait ", chuchota-t'il doucement.

" - Que tu crois, lanceur d'éclairs. Car c'est ta tête, que je viens chercher, Strom Erago. "
La personne s'adressant à lui avait, assurément, une voix féminine.

" - Bien essayé, mais je ne prend pas. Je serais déjà mort, si tu avais pour but de me tuer.

- Tu n'as pas tort ", rit la femme masquée

Elle reprit soudain un ton aussi sérieux que sinistre, tout en tournant les talons.

" - Mais j'ai pourtant une cible. Et si elle n'est pas ici, c'est que le vent de la révolte parviendra bientôt aux oreilles du dragon assoupi. "

Alors, la tueuse disparut. Aussi silencieusement qu'elle était apparue, laissant sur place un Strom pensif.

Ses mots avaient sonné comme une mise en garde. Elle faisait allusion au mouvement indépendantiste qui renaissait peu à peu au sein de la population smogienne, c'était certain. Mais... Quel rapport avec un dragon?

Tiré de ses réflexions par un grondement bas, le jeune homme se retourna. Il avait machinalement continué à avancer et se retrouvait maintenant dans une pièce affublée d'une grande baie vitrée aussi épaisse qu'un mur. À vrai dire, cela ressemblait plus à un genre de vitrine.

Le grondement se tut.

Sous la pâle lueur de la Lune gibbeuse, des yeux d'ambre luisaient. L'assassin s'en approcha, hésitant à libérer le monstre qui se trouvait là, enchaîné dans une cage. Il décida finalement de reculer et d'ignorer la bête, après lui avoir jeté un dernier regard.

Quittant cette demeure maintenant sans propriétaire, Strom marmonna doucement pour lui-même, comme pour se convaincre :

" - Désolé, Gnas. Je peux le faire. Mais je ne le ferai pas. Car ce n'est pas ma mission. Ils appartiennent à ma cible, et un assassin n'est pas un voleur. "

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Emra lisait tranquillement un de ses ouvrages préférés lorsqu'elle était enfant. Une histoire dont le héros était un âne avec une vie bien remplie, côtoyant fêtes et tragédies. Il faut dire que de nombreux passages l'avaient marquée, mais elle en avait oublié la fin.

Elle eu la vague impression que quelque chose tapotait au carreau. De la pluie? Une chauve souris ayant raté une estimation de distance? Elle haussa les épaules pour se replonger dans sa lecture, n'étant même pas sûre d'avoir vraiment entendu quoi que ce soit. La fatigue joue parfois des tours, c'était peut-être le cas ici.

La guerrière tiqua, fronçant ses sourcils fournis, quand le bruit se fit à nouveau entendre. Elle posa son livre et éteignit sa lampe de chevet avant de se lever, saisissant son épée à lame courte au passage.

Discrètement, elle entrouvrit son rideau. Une forme sombre était recroquevillée sur la rambarde de sa fenêtre. Pour tenir ainsi en équilibre à plus de six mètres du sol - car, chez Emra, les plafonds étaient hauts - il ne fallait pas manquer de courage et de talent. Aussi, la guerrière su que ce n'était pas là n'importe qui.

Prête à se défendre, elle déverrouilla la fenêtre pour laisser entrer cette mystérieuse personne. Celle-ci ne se fit pas prier pour se faufiler dans la chambre d'Emra.

La guerrière marqua un temps d'arrêt en apercevant le visage de cet énergumène encapuchonné. Ses traits lui étaient familiers. Le genre de traits que l'on n'oublie jamais, que l'on reconnait même à la faible lueur de la Lune et malgré le poids des années.

Comment ne pas reconnaitre ces traits si particuliers? Un nez cabossé, des cernes sous de grands yeux de faon, des sourcils toujours froncés avec un air inquiet... À l'époque, il portait une barbe. Il avait visiblement abandonné l'idée, aujourd'hui. Sans doute pour paraître plus jeune.

Emra crut que son coeur allait s'arrêter de battre, tant la présence de cet homme la surprenait. La chamboulait. Une multitude de certitudes venaient de s'effondrer, pour elle.

La guerrière était persuadée que cette personne si chère à son coeur était morte depuis des années. Et le fait qu'il soit encore en vie changeait énormément de choses.

Le nom de cet intrus échappa aux lèvres de la femme au tatouage de dragon, du fait de son incrédulité totale :

" - Leber Etrebil... "

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Au coeur de la nuit, la mort sourit. Pour trouver sa cible, elle n'avait qu'à suivre le porteur d'orage, qui était aussi discret qu'un rat au milieu des souris.

Un gros rat empoté trop fier d'avoir vaincu un insecte pour réellement prêter attention au prédateur qui pourrait le prendre en chasse.

La messagère funeste se retint de rire aux éclats pour se mettre à fredonner doucement le Chant des Assassins. Celui qui endort les cibles autant qu'il les maintient éveillées afin qu'elles ne ratent pas le grotesque spectacle de leur fin.

Une mélodie mélancolique aussi connue sous le nom de Mélopée de la Mort.

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