Le Secret de la Montagne

Chapitre 11 - Traîtrise

Les yeux de Strom luirent de peur un court instant. Puis, il afficha son habituel sourire à la fois triste, taquin, et hautain.

" - Tu lui ressembles, quand tu t'énerves... Je n'avais pas été secoué comme ça depuis longtemps. "

Tercês ouvrit la bouche, ne sachant pas quoi dire. Confus. À qui l'assassin pouvait-il le comparer? Il fronça soudain le nez, l'air horrifié, lorsqu'il s'aperçut que le Foudroyeur jetait des coups d'oeil à Gnas la machine à tuer. Comme pour indiquer au jeune amnésique qu'il était exactement identique à l'Assoiffée.

Agacé par ces mots, le jeune homme relâcha l'assassin et s'écarta de lui. À moins qu'il ne fut plutôt intimidé par son comportement nonchalant...

" - Ne me compare pas à lui, traître... Tu reviens comme une fleur après le massacre, tu pensais peut-être faire les poches à nos cadavres?! "

La voix de Tercês dérapa dans les aigus sur la fin de sa phrase, révélant son statut de jeune adulte ainsi que la brisure faite à son coeur par le comportement de Strom.

" - À lui? Je n'ai pourtant nommé personne... Est-ce que tu aurais peur de lui? Assurément, il t'horrifie, en tout cas...

- Strom! " le coupa Emra, l'air sévère.

Elle détestait ces moments où l'assassin aux cheveux de jais jouait avec les sentiments d'autrui. Il n'était pas ainsi, autrefois. Ce n'était sûrement pas elle qui lui avait appris cela; mais peut-être était-ce là quelque chose que seules l'expérience et la confiance en ses capacités permettaient d'acquérir.

Strom leva les yeux au ciel, frustré que son jeu s'arrête là.

" - J'ai tué les archers. "

Tercês tressaillit. Cette courte phrase venait d'éteindre le brasier de rancoeur qui lui rongeait les entrailles.

" - Pardon?

- Il a tué les archers pendant que nous nous battions contre les spadassins. C'est pour ça que nous ne sommes pas devenus de pâles copies de hérissons. " expliqua Emra.

L'amnésique recula, ne sachant plus où se mettre. Strom se releva, un éclat de rancune dans le regard.

" - Si tu veux un traître, nomme plutôt l'Hommiroir qui nous a jeté dans ce piège avant de prendre la fuite. Cet être n'a pas intérêt à recroiser mon chemin, sinon je demanderais une dérogation afin de le descendre selon mon bon vouloir et dans les règles de l'art... "

Elleiro vint voir son amnésique de cavalier, intriguée par tout ce chambranle. La belle mule au poil bai frotta sa tête au dos de Tercês afin d'attirer son attention. Celui-ci resta béa encore quelques instant suite aux paroles de Strom avant de doucement flatter l'encolure de sa monture, rassuré qu'elle ne soit pas blessée.

Jaloux de l'attention portée à la mule, Cork vint également réclamer une caresse. Le Métalycan claudiquait légèrement, même si les soins prodigués par Emra lui avaient fait un bien fou.

De son côté, la guerrière fouillait dans chaque recoin des alentours, suivant un drôle de pressentiment. Elle trouva tout a coup ce qu'elle cherchait inconsciemment au fond du profond du fossé, creusé par les eaux à la saison de la fonte des neige, longeant chemin.

Oui, elle ne rêvait pas. Rihorrim était là, la face à demi embourbée et totalement ensanglantée. L'Hommiroir avait dû prendre un sacré coup sur la tête. La guerrière l'aida à se relever.

En les voyant arriver, Strom dégainera sa dague en un menaçant crépitement.

" - Toi! Je vais devoir abattre mon cheval par ta faute!

- Q... Quoi? " fit Rihorrim, ne comprenant visiblement pas sa situation

" - Tu nous as tendu un piège et les pillards ont finalement décidé de te trahir, à ce que je vois!

- Comment ça?

- C'est toi qui nous a indiqué ce chemin, traître! Et maintenant, tu vas le payer de ta vie! "

La tête de Rihorrim lui tournait. L'Hommiroir avait du mal à comprendre les menaces proférées par Strom, tout comme leur cause: les mots se mélangeaient dans sa tête, tourbillonnant au grès des circonvolutions de son cerveau comateux.

Tercês, remonté sur le dos de sa mule et ayant assis Cork devant lui afin que sa boiterie ne s'aggrave pas, voyait bien que l'Hommiroir n'était pas en état de se défendre. Et, après avoir attentivement observé sa réaction aux accusations de Strom, il lui semblait bien que le guerrier aux airs nordiques était innocent dans cette affaire.

Il se décidera finalement à parler en faveur de Rihorrim, pointant du doigt un détail dont il s'était précédemment aperçu:

" - Strom, les villageois... " avança-t'il, l'air hésitant

- Quoi, les villageois? Quels villageois?

- Il te regardaient bizarrement. Ce sont peut-être eux, qui ont indiqué aux bandits où nous trouver...

- Ce n'est pas possible, les bandits les auraient d'abord attaqués. Nous sommes trop près de ce village pour qu'une attaque y ait déjà eut lieu.

- À moins que les bandits ne soient originaires de ce village. " avança Emra.

Elle aida Rihorrim à monter sur le dos de Tobias, son cheval de trait en armure. Strom fixait toujours l'Hommiroir d'un air plein de méfiance et de colère. La réflexion de la guerrière l'avait fait taire: il savait que rares étaient ceux qui appréciaient les assassins, fussent-ils au service du royaume.

Emra revint ensuite vers le jeune Foudroyeur:

" - Tu parlais de devoir abattre ton cheval?

- Un coup de hache dans une articulation. Ça lui a presque arraché la patte-arrière, il faudra amputer. Un cheval à trois pattes ne vaut rien.

- Plutôt que de l'abattre, donne-le moi. "

Strom leva la tête, l'air sidéré. Rihorrim avait en partie repris ses esprit, et fixait l'assassin d'un air déterminé.

" - Donne-le moi. "

Le Foudroyeur hésita un instant. Il céda finalement, décidant que son cheval ne valait de toute façon plus que le prix de sa viande et que la prochaine boucherie se trouvait à des dizaines de lieues de leur position actuelle. De plus, il était quasi sûr que la bête mourrait d'elle-même, ce qui donnerait une bonne leçon à cet imbécile d'Hommiroir dont il était encore convaincu de la culpabilité dans cette histoire de bandits.

Pendant ce temps, Emra avait sorti sa carte de son étui étanche, essayant de déterminer un nouvel itinéraire afin de s'assurer que les bandits s'étant enfuis ne les retrouvent pas.

Tercês l'amnésique s'approcha d'elle, intrigué, la regardant depuis le dos d'Elleiro. La guerrière remarqua immédiatement qu'il avait gardé à sa ceinture l'épée qu'il avait ramassée, glissée dans un fourreau qu'il avait du chaparder à l'un des corps avec une hésitation mêlée de dégoût. Elle lui montra la route qu'elle avait choisie de suivre:

" - Nous ne passerons pas en Shandragon: nous ferons un détour à l'ouest, en passant par Roshmeïr, aussi nommée la Mer des Roches.

- Roshmeïr? " répéta Tercès.

Il avait étrangement tiqué lorsqu'elle avait prononcé ce mot. Elle se souvint soudain où elle avait entendu le nom de "Mermond", que le jeune amnésique s'était mis à invoquer lors de l'attaque.

"Mermond". Originellement, Mère du Monde. La déesse la plus priée de toute la Mer des Roches. Et qui n'était surnommée "Mermond" que dans la principale ville de la région: Smog, ville industrielle et cité des automates. Emra avait déjà eu l'occasion de se rendre là-bas. Les gens y étaient charmant, contrairement à ce que l'on pourrait attendre de la part de travailleurs à la chaîne vivant dans un lieu à l'apparence plus crasseuse qu'une coquille d'Escargochon tricentenaire...

La guerrière se mordit doucement la lèvre pour masquer un sourire, ne voulant pas paraître étrange. Et surtout, ne voulant pas influencer Tercês: ils se rendraient à Smog; Emra comptait sur le fait que des souvenirs reviendrait à l'amnésique lorsqu'ils passeraient dans des endroits lui étant familiers.