Le Secret de la Montagne

Chapitre 12 - La Mer des Roches

Gnas couina, se sentant inconfortable en terrain découvert, ayant également mal aux pattes à force de trébucher sur des galets roulant sous l'effet de sa masse.

La lande de pierres andésite les entourant était, il faut le dire, vraiment austère. Rares étaient les plantes qui y poussaient, et inexistantes étaient celle dépassant la trentaine de centimètres. Aucune bête de taille respectable n'aurait pu survivre au sein de ce désert de cailloux, si vaste qu'il se propageait jusqu'à l'horizon. Si vaste qu'on le nommait, à juste titre, Mer des Roches.

Emra avait fait en sorte d'éviter le plus possible les villages clairsemant la route, pour éviter un autre drame. Elle ne savait toujours pas vraiment pourquoi les bandits les avaient attaqués, et préférait brouiller les pistes autant que possible. Ces deux dernières semaines, ils avaient donc tenu bon grâce aux réserves offertes par Setoh ainsi que grâce à leurs talents de chasseurs. Le poids reposant sur le dos d'Essena, l'ânesse de Strom, diminuait à vue d'oeil.

Les sabots de Tobias claquaient doucement sur les pierres. Il avançait d'un pas assuré, sachant d'instinct où poser les pattes pour ne pas tomber, n'étant en rien dérangé ou déséquilibré par le poids de Strom. L'assassin s'était écorché les pieds, n'ayant pas l'habitude de marcher autant. Ses blessures étaient tout à fait superficielles, mais telles qu'il lui était insupportable d'enfiler ne serait-ce qu'une paire de bottes. De plus, il ne pouvait monter son ânesse, celle-ci portant déjà moult choses.

Le jeune homme, rancunier, lançait de temps à autre de sales regards à Rihorrim, qui avait aujourd'hui l'apparence d'un Emodrazel - un genre d'humanoïde aux airs plus ou moins crocodiliens - affublé d'un regard inspirant une confiance totale malgré ses crocs meurtriers et son cuir plus épais que celui d'un boeuf.

Enrokyl III, renommée Neptune, était toujours en vie. Le jeune homme lézard devait la guider: la marche était difficile, pour une jument à trois pattes. L'hommiroir avait du amputer puis cautériser la jambe blessée de l'animal, l'estimant irrécupérable. Ce fut une décision difficile à prendre, mais c'était sûrement grâce à cela que la bête vivait encore. C'est Tercês, qui avait réussi à tenir la jument immobile durant toute l'opération - nul ne savait par quel miracle il avait pu le faire.

Guidant sa belle Elleiro tandis que Cork trottinait alentour - déjà remis de ses blessures - l'amnésique ne savait pas trop quoi penser de ce paysage si particulier. En un sens, il s'y sentait à l'aise. Comme dans son élément. Mais... Pas tout à fait, en fait. Une espèce de gêne, de sentiment d'insécurité, lui pesait sur le coeur.

Cette masse de pierres lui semblait à la fois familière et étrangère. Hospitalière, mais dangereuse. Il lui manquait quelque chose. Quelque chose comme un mur, par exemple.

Il fronça les sourcils, perplexe: pourquoi un mur? Un toit serait plus logique.

Il avait beau se triturer les méninges, un mur lui semblait toujours la solution la plus adéquate à son problème d'insécurité. Bien qu'il ne comprenait pas lui-même pourquoi.

D'ailleurs, il ne comprenait même pas comment Emra parvenait à retrouver son chemin dans ce désert à l'air infini. Tercês avait l'impression qu'ils tournaient en rond depuis des jours. Néanmoins, il ne disait rien, car la guerrière qui menait le groupe semblait tout à fait sûre d'elle quant-à leur itinéraire.

Le jeune homme fut soudainement tiré de ses pensées par des aboiements inquiets. Pas normal! Anormal! Cork venait de trouver quelque chose de très préoccupant, et de potentiellement problématique.

Tercês rejoignit le fidèle Métalycan aussi vite qu'il le pu. Il poussa un cri rauque en glissant dans un profond pierrier lorsque les roches roulèrent sous ses pieds empressés. Emra tourna aussitôt la tête vers lui, main sur la garde de son épée, prête à affronter quelconque danger.

Le jeune homme se releva sans regarder devant lui et se cogna contre quelque chose de dur et d'épais. Du bois?

Tercês tenta de reculer pour voir ce qu'il avait heurté. Il poussa un hurlement de terreur en se rendant compte que sa tête était coincée contre l'objet. Quelque chose de dur le retenait.

Il commençait à céder totalement à la panique, lorsqu'il entendit Emra exploser de rire. Le jeune homme se calma d'un coup, bien qu'il était toujours inquiet.

" - Au secours! Je suis coincé! "

La guerrière s'approcha de Tercês pour le libérer de l'objet planté dans le bois et lui enserrant le crâne. Une fois libre, il recula d'un coup, s'éloignant de cet endroit dangereux. Puis, il se retourna.

Emra tenait entre ses mains un genre de cage thoracique. L'amnésique ouvrit de grands yeux effarés.

" - Emra! Qu'est-ce que tu fais?! Lâche tout de suite ce cadavre!

- Tercês, tout va bien. C'est un morceau de squelette d'un grand canidé. Ce n'est pas humanoïde. "

Le jeune homme grimaça tout de même de dégoût. Expression qui s'accentua en voyant Cork renifler la chose. Il saisit son Métalycan par le collier pour l'éloigner de cette place macabre. Quand il s'estima assez éloigné, il fit volte-face pour observer la scène.

Le paysage était plutôt surprenant: on aurait dit la coque de bois d'un genre de bateau, couchée là, sur le flanc, brisé. En plein milieux de ce désert loin de la mer. Il y avait, certes, quelques rivières. Mais rien d'assez grand pour permettre à une embarcation de cette taille de naviguer.

Le vaisseau reposait au fond d'une large cuvette. Un cratère, plutôt. Comme si il était tombé du ciel.

" - L'Ignivom ", indiqua Rihorrim en un souffle, n'y croyant presque pas " J'ai eu tort de douter, Emra connait en effet le chemin.

- Qu'est-ce? ", demanda Tercês, interloqué par cet étrange nom

" - Un ancien bombardier smogien. C'était il y a une cinquantaine d'année. À l'époque ou Smog avait revendiqué son indépendance de façon... Plutôt violente.

- Pourquoi ne l'ont-il pas simplement demandée poliment?

- Ils l'ont fait, mais elle leur a été refusée. Une ville industrielle de cette ampleur est plus intéressante en tant que partie du royaume qu'en tant que simple partenaire commercial. Enfin... Aujourd'hui, il sont quasiment autonomes en terme de production et possèdent leur propre gouvernement, ce qui les rend quasi indépendants, comme la plupart des grandes villes. C'est pour cela que certains disent de notre contrée d'Enthéo'Ryl qu'il s'agirait d'un royaume empirique plutôt que d'un royaume. "

L'Emodrazel darda sa langue, plus par tic que par véritable volonté d'analyser l'air environnant.

Tercês ne savait pas trop quoi répondre à ces dires. Il n'avait de toute façon pas très envie de poursuivre sur ce sujet, et un autre genre de question lui venait à l'esprit:

" - Ça volait? Et... Comme ce squelette a pu se retrouver planté dedans?

- Regardes mieux. "

Le jeune homme tâcha de recentrer son attention sur le vaisseau disloqué, se demandant ce qu'il avait loupé.

Soudain, il se rendit compte que de longues roches blanchâtres jonchaient le sol tout autour de l'ancien bombardier. Non, pas des roches. Des os. Des montagnes d'ossements.

Tercês plaça sa main sur sa bouche, choqué, et se retenant de vomir à cause de l'anxiété procurée par ce macabre spectacle. Qu'avait-il bien pu se passer ici?

" - Les semi-automates survivent à des chutes de plusieurs centaines de mètres. Ce bataillon n'y a pas cru et s'est jeté sur les restes de l'Ignivom sans faire attention. Un semi-automate est assez puissant pour exploser un corps contre un rocher. Alors contre du bois... "

L'amnésique fit un pas en arrière. Il courut rejoindre Elleiro, restée près de Tobias, puis sauta d'un coup sur son dos.

Il talonna la mule avec empressement, ayant hissé Cork devant lui.

Tercês ne voulait pas trainer en ce terrible lieu, témoin de tant d'atrocités, ne serait-ce qu'une minute de plus.