Le rituel de préparation.

58 10 7
                                    

Elle est contrainte d'appeler son amie, pour annuler, en lui promettant de vivre cette journée plus tard. Kalinda s'apprête à faire la même action pour lui dire que sa famille a également prévu autre chose. Nées le même jour, elles ont toujours été proches et depuis qu'elles se connaissent, elles sont inséparables et se sont toujours dit secrètement qu'elles sont sœurs jumelles.

À peine le téléphone raccroché, les tantes prennent Maïnda par le bras pour l'emmener au milieu du salon. Il faut traverser cette immense cuisine, marcher sur le carrelage de marbre glacé, passer le petit couloir où se trouvent les cabinets de toilette, passer une massive porte et faire encore quelques pas sur le parquet fraîchement ciré pour se retrouver au centre du salon. Cette pièce était le cœur de la propriété. C'était l'endroit le plus chaleureux de la demeure.
Elles adorent se réunir le soir, se raconter des histoires, partager leurs secrets et leurs astuces en cuisine ou en couture. Elles adorent par-dessus tout se raconter leurs voyages. Maïnda a l'habitude de ses histoires, elle les connaît par cœur. Mais depuis un temps certain les femmes de la famille ne voyagent plus beaucoup... D'ailleurs Maïnda n'a jamais quitté la région. Pas une seule fois !

Du salon on peut voir le jardin et l'allée de rosiers qui mène vers l'extérieur, sur le grand portail. Elle se tient debout là, silencieuse, regardant par la baie vitrée, laissant ses pensées s'enfuir loin de toute cette agitation.

Presque dix heures déjà, elle n'a pas vu le temps passer. Elle a l'impression que le temps s'est mélangé. Commence-t-elle à ressentir les changements dont on lui a parlé ?

Elle aimerait pouvoir partager ses ressentis avec sa meilleure amie. Lui dire combien elle est prise d'angoisse, combien elle panique à l'idée de ces changements. Parce qu'elle ne veut pas que ça change elle, elle aime bien sa vie comme ça. Au milieu de toutes ces femmes, Maïnda se sent profondément seule. Toujours dans ses pensées, elle ne remarque pas ce qu'il se passe autour d'elle. Les bougies allumées, l'encens, les chants ésotériques. Elle est tout simplement dans sa bulle avec l'envie de fuir qui ne la quitte pas.

- Maïnda, déplace-toi vers la gauche, non plus à droite, attends, recule un peu, encore plus à gauche..., scande Cristal.

- Lève un peu les bras, demande Mayïaa en lui attachant un ruban de soie autour de la taille.

- Ne bouge pas c'est parfait, nous pouvons commencer, affirme Félindra.

Toutes les femmes entourent Maïnda en se tenant la main pour procéder au rituel de préparation. Elles commencent à chanter à l'unisson. Très doucement, de manière si douce qu'on peut à peine les entendre, pour chanter crescendo.

Zaoï est la doyenne de la famille, on dit qu'elle est âgée de plus de trois cents ans. Toutes les autres femmes semblent également avoir perdu la notion de l'âge et seraient âgées entre cent et cent cinquante ans, d'après leur physique, cent cinquante ans environ pour Cristal la plus âgée des sœurs. Elles avaient toutes reçu à leur seizième anniversaire, un pouvoir, qu'il leur fallût apprendre à dompter. Est-ce le cas aujourd'hui pour Maïnda ?

Elle le sait, on lui a dit, mais elle ne sait quel sera son pouvoir, ni comment il se manifestera. C'est quelque chose qui la terrorise beaucoup.

Ses tantes lui ont raconté comment elles ont vécu leur épanouissement et il y a vraiment de quoi avoir peur. Félindra raconte qu'elle a perdu connaissance et qu'elle s'est transportée dans la jungle, transformée en lion. Elle devait apprendre à combattre, se nourrir et défendre son territoire. Ce passage lui a permi de développer l'agilité dont elle fait preuve aujourd'hui. Elle est capable, tel un félin, de voir dans la nuit et même à travers les murs. Mais Félindra qui est de nature timide a dû se surpasser et a eut très peur ce jour, parce qu'elle n'était pas du tout préparée à une telle violence.
Maïnda espère que pour elle ça sera moins violent que pour sa tante.

C'est Zaoï qui donne le ton. Ses filles et elles chantent et chantent encore. Maïnda se tient toujours là au milieu de ce cercle, cherchant désespérément à comprendre ce qui lui arrive. Elle attend les changements, malgré la peur qui la tiraille, elle est curieuse de savoir ce que l'univers lui réserve et quel est son pouvoir ?

Elles chantent encore... Elles poussent leur voix de plus en plus fort. On peut les entendre à l'autre bout de la région. Mais toujours rien. Alors elles chantent encore et encore. Elles répètent sans cesse le même refrain. Maïnda cherche sa tante Maydina du regard, pour se rassurer, mais elle ne reçoit que sa mine déconfite. Elle observe alors ses autres tantes et toutes s'époumonent de plus en plus. Elles manquent de souffle et semblent inquiètes... Elles ont chanté comme ça pendant près d'une heure. Une longue heure où il ne se passait rien.

Maïnda ne rêve que d'une chose, de rejoindre son amie Kalinda. Sa seule amie. La seule capable de la comprendre et de la rassurer. Seulement elle est bloquée là au milieu de ces femmes et ne peut qu'attendre qu'il se passe quelque chose.

Zaoï stoppe tout d'un geste de ses mains et d'une voix tremblante chuchote à ses filles qu'il est nécessaire de procéder autrement, ce n'est pas habituel que le rituel n'aboutisse pas. En toute logique, lorsque les Jowel se mettent à chanter, la magie opère, elles en ont fait l'expérience il n'y a pas si longtemps, lorsqu'elles ont chanté la guérison du petit hérisson égaré. Elles chantent pour activer les énergies dont Maïnda devra avoir besoin pour développer son pouvoir. Il est vrai qu'elles n'ont pas terminé de préparer la potion, il leur manque quelques éléments et c'est sûrement parce qu'elles ne possèdent pas tous les ingrédients pour le bain dans la rivière que la magie n'opère pas aujourd'hui. Même si le fait que la potion ne soit pas prête ne devrait pas poser problème normalement.

Cristal demande à Maïnda de rester avec sa grand-mère. Elles iront chercher le miel.
Zaoï est la seule à pouvoir y aller d'ailleurs...

Elles sont toutes sorties de la maison en nuée, plantées sur le parvis et en une fraction de seconde, disparaissent dans la nature. Maïnda pense halluciner, ses tantes l'avaient préservée des pouvoirs de la famille, connaissant les dangers. Elle tente en vain d'interroger sa grand-mère qui détourne le sujet ou qui pose d'autres questions en retour, ou pire... Qui parle toute seule. Maïnda sent que quelque chose ne va pas, mais en elle, aucun changement. Aucun bouleversement physique. Elle ne ressent rien d'autre que de la peur.

Les oubliés de Missunder [CORRECTION/REECRITURE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant