Entre-Monde - L'envolée des Ténèbres [En Correction]

Chapitre 21 Chaîne sous la tempête (2ème partie) [corrigé]

          — Écoutez, déclara Rowan, plus calme. Je ne me jetterais pas la tête la première dans un voyage d'une telle ampleur et qui durera plusieurs lunes de marche. J'ai été idiot de prêter attention à un enchanteur.

Githrandiar leva un sourcil.

— Vous savez la différence entre un enchanteur et un magicien ?

— Non, mais leur particularité ne doit pas présenter une grande divergence.

— Le point qui accentue le plus notre écart de profession est la force. Le seul don d'un enchanteur est de tirer son pouvoir des herbes médicinales. Donc, vous me considérez aussi abject qu'eux. Me trouvez-vous si piètre dans ce rôle ?

Rowan ne répondit rien, mais grimaça en guise de répartie suivie du grognement de Githrandiar.

— Qu'est-ce que je dois supporter pour faire plaisir à un nain égocentrique ? marmonna-t-il dans sa barbe. N'insistons pas, mon ami. Vous avez accompli tellement de choses pour permettre aux vôtres de vivre. Et vous avez réussi, mais vous n'en profitez pas, car vous vous terrez comme un lapin apeuré. Le passé vous incombe et vous ne le laissez pas partir en paix. Vous avez hérité du caractère des Aura de Foudre. Votre vie a changé, mais elle vaut plus que tous les trésors parcourant les milliers de salles d'Andor, ou le peu qu'il en reste.

— Non, pas du tout. Je vous présente ma bourse.

De la sacoche, il sortit un petit pochon de cuir, fatigué par le temps. Il l'ouvrit pour montrer sa richesse. Une pièce se battait en duel, avec un bout de papier froissé au fond du sac.

— Un Hyle. C'est tout ce que mon dernier travail m'a donné comme subsistance. Je survis plus que je ne vis.

— Mais on abuse de vous, s'écria le magicien.

— Ai-je le choix ? Si je veux manger rien qu'un morceau de pain, je dois accepter ce que l'on me propose. Voilà le visage caché d'Entre-Monde.

Githrandiar sortit la carte Arearth.

— Ceci nous permettra de reconquérir tout. Même votre place au sein d'Entre-Monde. Les nains d'Andor renaîtront. La nouvelle génération connaîtra l'or et le touchera tous les jours. Je désire vous tenir cette promesse.

           A ces mots, Ness se leva de derrière le feu. Il replia soigneusement le contrat et épousseta ses vêtements. Il s'approcha d'un air décidé vers le trio et tendit le parchemin avec un sourire déterminé, même si ses yeux trahissaient son anxiété. Rowan le prit nonchalamment et inspecta la signature qui attestait la participation de Ness au voyage. Le nain grogna en signe d'accord et rangea le pacte dans la sacoche.

— Ness, le feu perd de son intensité. Et si vous alliez nous chercher du bois ? demanda Githrandiar, empli de gaieté.

— Bien sûr. J'y vais tout de suite, répondit Ness, heureux de se montrer utile.

Il se dirigea vers la forêt et pénétra dans sa noirceur.

           — Vous voyez Rowan qu'il peut être pratique, s'exclama Githrandiar, après que les arbres eurent totalement englouti le petit.

— C'est vexant, grimaça la vampire, en jetant un regard en biais au Magicien.

— Mais vrai, malheureusement pour nous, rajouta Rowan, en croisant les bras sur sa poitrine. Rien ne peut être pire que cet aïdem.

— Je suis une vampire, souligna la femme. Je me nourris de sang.

— Mais vous êtes le peuple le plus fort d'Entre-Monde et cela suffit à dire que vous avez bien plus votre place ici que ce...

Un silence s'imposa et se prolongea, en attendant la fin de phrase.

— Comment s'appelle-t-il déjà ? demanda Rowan.

Githrandiar soupira d'exaspération en fermant les yeux.

— N'y a-t-il pas toujours de l'espoir même dans un monde noir, m'as-tu déclaré un jour, Githrandiar ? surenchérit Ange, un sourire en coin.

— Bien sûr que oui.

— Alors ton visage évoque réellement l'optimisme, ricana-t-elle.

— Je ne me trompe pas, tonna-t-il, en se levant d'un seul coup. Ness dispose d'une facilité déconcertante pour s'évanouir en un instant. Seul lui peut exécuter ce que l'on va entreprendre.

— Mais d'autres aïdems possèdent cette faculté, releva la vampire.

— Oui, acquiesça Githrandiar, en fronçant les sourcils.

— Et si tu t'étais fourvoyé ? Et si ton amitié te rendait aveugle avec... Ness ? siffla Ange, en direction de Rowan, qui préféra regarder le sol.

— Tu ne me fais pas confiance ?

La jeune femme, une moue dubitative, esquissa un sourire qui découvrit ses canines pointues et étrangement brillantes.

— Je ne comprends pas ta façon de penser. Nous avons besoin de la force. Pas d'un boulet, le réprimanda la femme.

Githrandiar gronda de colère dans sa barbe sous cette remontrance.

— La puissance nous n'est pas nécessaire, mais la discrétion nous importe bien plus et Ness symbolise ça, décréta le magicien.

— La discrétion ? ricana Rowan. Il était tellement stressé qu'il n'a pas pu se rendre invisible.

— Nous verrons bien si nous allons assister aux funérailles de Ness, enchaîna la vampire.

— Le plus tôt sera le mieux. Ainsi, nous pourrons poursuivre tranquillement notre périple, jeta Rowan.

— Vous êtes odieux tous les deux, s'exclama Githrandiar, scandalisé par les dires de ses compagnons.

La rouquine leva les yeux au ciel et se mit debout.

— Vos doutes envers moi disparaîtront en même temps que la nuit laissera place à l'aube et vous serez mes obligés, car une fois de plus, j'aurais le dernier mot.

La vampire se pencha vers Githrandiar afin que seul lui entende ses paroles.

— Ce n'est pas tellement moi que tu dois persuader, murmura Ange, dans le crépitement du feu qui crachotait des braises rougissantes, mais Rowan. Et cette confiance envers l'aïdem passe d'abord par toi. Il n'aura foi en lui que s'il t'estime aussi. Et Ness a également besoin de conviction et non de l'illusion de l'assurance qu'il fait semblant de détenir. Tu es le pylône qui les maintient tous les deux droit. Un infime moment de faiblesse, de trahison et leur fidélité en toi et en eux se brisera, malgré toute la peine que tu te donneras pour la reforger. Tu es la colonne qui tient ce voyage. Un seul faux pas et la maison s'écroulera. Reconstruire Andor est ton idée. Tu portes un poids bien plus lourd que tu ne le penses, Githrandiar. Fais attention de ne pas constituer le maillon de la chaîne qui se rompra sous le frêle équilibre de Ness et Rowan. L'aïdem est bien ton ami, rassure-moi ?

— Bien sûr, répondit Githrandiar, sur le qui-vive.

— Pas besoin de te hérisser les poils ainsi. Je ne t'ai pas attaqué. C'est juste que si je bénéficiais d'un lien aussi solide, je ne le laisserais pas vagabonder dans un territoire qu'il ne connaît pas.

           Dans la forêt, un vent rigoureux vint faire mourir le feu avec une facilité déconcertante. Un hurlement épouvantable, de souffrance, couvrit tous les sons environnants. Le sol trembla légèrement sous des bruits de cavalcades. Le magicien releva la tête, suivi de Rowan qui se leva.

— L'aïdem devrait déjà être revenu, chuchota Rowan.

La femme les regarda avec un petit sourire narquois sur son visage sculpté dans la glace.

— Ange ! vociféra Githrandiar, plus inquiet qu'en colère.

— Surtout, qu'il est partit sans lumière, remarqua-t-elle, en ricanant.

Elle se dirigea vers la forêt d'un pas léger.

— Et bien sûr, c'est lui qui vient de hurler de terreur, termina-t-elle.

          La noirceur du bois mystérieux l'avala petit à petit. Seuls ses yeux rouges tardèrent à s'évaporer.