Prologue

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          Les Andros étaient allongés. Ils regardaient le Maître.

           La pièce, aux murs tapissés des blasons de l'Entre-Monde, était ouverte sur des cascades de filaments blancs. Au milieu, une table montrait les territoires des Contrées en détail. Une tenture recouvrait tout un pan de mur. Elle représentait un grand arbre au tronc imposant. Au centre se tenait une puissante sphère cerclée de noir avec un croissant de lune rouge. À l'intérieur, des nuages gris laiteux tournaient lentement. Et tout autour de cet orbe s'incarnaient les quatre saisons. À gauche, les branches évoquaient les Bourgeons Aristan. Au-dessus, la frondaison s'était épanouie comme lors du Viridiana. À côté, elles avaient pris les teintes des feuilles Iryldis. Et complètement à droite, les ramures étaient dénudées et une légère couche blanche cachait la couleur originelle de l'arbre pour les Neiges Iniera.

           La salle était plongée dans un silence écrasant. Le Maître aux écailles bleues, mais fanées, regardait à gauche un grand dragon d'un jaune solaire, qui le fixait avec des pupilles dilatées. De la fumée s'échappait de ses narines palpitantes.

— Je vais tous les tuer, gronda-t-il, en frappant sa patte sur le sol, ce qui fit trembler les blasons et l'image des territoires de l'Entre-Monde.

— Ils ne sont pas impliqués dans ce parjure, répondit le Maître d'une voix posée.

— Il les protégeait, donc, ils se tiennent à ses côtés.

— Ne raconte pas de telles inepties, Drafo. Cette trahison ne concerne en rien les vampires. Ils ignorent, sans nul doute, ce qui s'est produit, de plus. Maintenant, calme-toi, rallonge-toi, et mange. Le destin des Nains est scellé dorénavant.

— Vous n'êtes pas intervenu et vous vous dites notre Maître ! rugit le dragon jaune en écrasant la table de ses deux pattes et en la réduisant en poussière à l'aide de ses griffes.

— Malgré le crime commis et les larmes que je déverse en vue de toutes les vies prises sans état d'âme, ce qui est arrivé ne relevait pas de moi. Tu sais qui a perpétué cette faute impardonnable.

Drafo se tut un instant, en observant le plan d'Entre-Monde. Ses yeux, d'un rouge or, souffraient. Son corps puissant et d'écailles brûlantes par le soleil frissonna sous la rage et la tristesse. Son peuple qu'il devait protéger et aider était dorénavant anéanti. Il entendait encore dans sa chair le malheur qu'avaient subi les nains. Il sentait des griffes ravageaient ses entrailles. Le désespoir demeurait intenable.

— Ce n'est pas le problème. C'est que vous n'avez rien empêché. Vous l'avez laissé tout détruire. Anéantir un Royaume. Même une guerre n'avait pas engendré une telle violence gratuite. Vous êtes peut-être trop vieux pour remplir ce rôle maintenant.

— Je te rappelle que le Maître reste le Maître jusqu'à sa mort. Et je me porte très bien.

— Vous avez éliminé toute une civilisation ! éclata Drafo.

Un feu assourdissant et déchaîné envahit la salle et brûla tous les blasons de l'Entre-Monde. Les Andros entreprirent de protéger et les emmenèrent en lieu sûr. Un cri écumant de rage s'éleva au-dessus du bruit des crépitements des flammes. Le Serpent, jadis céleste, n'eut pas le temps d'esquiver l'attaque que des griffes s'accrochèrent à lui. Il tomba sur le flanc. Le dragon jaune s'appuyait de tout son poids sur le corps frêle du vieux Maître.

— Mais que fais-tu, Drafo ?

— Je crois qu'il faille te remettre les idées en place, vieille lave en perdition.

Suivi de cette menace, il enfonça ses pattes arrière dans la queue du Maître qui se mit à saigner abondamment. Il poussa un cri d'agonie, s'arc-bouta et envoya son adversaire dans une des cascades. L'Andros des Nains disparut sous la force de l'eau. Son ennemi se redressa avec grande difficulté. Les os de sa queue étaient en charpie et sa chair en lambeaux. Il présentait aussi une lésion béante au niveau du flanc où une des griffes de Drafo s'était plantée profondément. Ses yeux inspectaient la salle ravagée. Mais il entendit derrière lui un rugissement. Un poids énorme se logea sur son dos une nouvelle fois.

— Tu es devenu complètement fou Drafo, gronda le Maître.

— Tout notre peuple adhére à ma pensée. Tu es faible et lâche. Regarde-les, ils n'ont rien manqué du spectacle.

En effet, tous s'étaient alignés contre le mur où se trouvait la tapisserie de l'arbre des saisons. Mais aux paroles de Drafo, ils baissèrent la tête en examinant leurs puissantes pattes.

— Lâches ! Couards ! Traîtres ! rugit l'Andros.

Il se jeta, la gueule grande ouverte, sur le Maître. On voyait le feu monter de sa gorge et rougir ses écailles. Mais ce dernier esquiva l'attaque avec souplesse.

— Tu es allé trop loin, Drafo.

— Je vous faisais confiance, mais vous avez participé à cette tuerie inhumaine, alors que votre rôle consiste à nous protéger, les dragons et l'Entre-Monde.

Son accablement lui permit de revenir à l'offensive. Son adversaire s'écarta et prit le cou de Drafo dans sa mâchoire et y enfonça ses crocs. Dans la pièce, les os se brisèrent et le feu de la gorge s'éteignit. Seul le son des cascades venait apaiser le trouble qui avait obscurci la salle. Le Maître finit par lâcher le corps qui retomba inerte, dans un bruit sourd. Tous les dragons contemplèrent le vainqueur. Ils s'allongèrent sur le sol de tout leur long en signe de respect.

— Drafo est condamné à voler dans les ténèbres.

Un long silence accompagna sa phrase.

— Appelez Eranya. Elle sera l'Andros des Nains dorénavant.

Tous partirent en planant vers les cascades. Le Maître les regarda disparaître dans le ciel et se retourna vers la salle. Il se dirigea vers un blason qui brûlait encore légèrement, le seul qui ne fut pas emmené en sécurité. Le reste d'un œil s'éclipsait doucement sous les flammèches rougeâtres.

— Te crois-tu plus puissant que le Maître ? J'ai dû tuer Drafo à cause de toi aujourd'hui. Sache que je protégerais l'Entre-Monde de toi. Fraröth.

Entre-Monde - L'envolée des Ténèbres [En Correction]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant