Chapitre 7: Rendez-vous

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Jessie savait très bien ce qu'elle devait faire. Sortie de sa chambre, elle se dirigea vers celle de l'inconnu, à quelques mètres seulement de la sienne. Elle jeta un coup d'œil pour voir si le couloir était désert. En voyant quelques adolescents de son âge passer, elle se stoppa net, et fit mine de refaire ses lacets. Après une trentaine de secondes, la voie était libre. Toujours penchée, elle fit glisser le livre de son ventre jusqu'au sol, et d'une poussée de la main, le fit passer par la trappe de la chambre 140.

Elle n'avait pas peur d'être surprise pour cela, les couloirs du dortoir n'étant pas sous surveillance caméra. Cela était dû à un désir de l'ancien sergent, d'offrir plus de libertés et d'intimité aux habitants -Jessie n'avait jamais vraiment fait attention à ce genre de détails auparavant, mais elle se félicita de savoir une chose si utile désormais. En revanche, un membre du personnel était toujours présent dans chaque couloir du dortoir. Mais Jessie avait remarqué il y a peu, que l'homme qui avait cette tache sur l'étage 12 était la plupart du temps en train de dormir dans sa loge, au lieu de patrouiller dans le couloir. 

Alors qu'elle mangeait sa purée de pomme de terre, elle le vit. Il sortait du dortoir et se dirigeait vers le personnel de la cantine pour recevoir son déjeuner. Elle qui ne s'était jamais posée la question sur l'âge  de l'inconnu, eut une réponse approximative. S'il venait de sortir par là, c'est bien qu'il sortait de sa chambre, donc qu'il avait moins de 20 ans. Les adultes arrivaient par l'autre côté, le dortoir étant à l'opposé des différentes zones de travail. Jessie, en le regardant du coin de l'œil, s'étonna tout de même; malgré sa maigreur, il semblait être plus âgé.

Il était donc sorti après qu'elle lui ait rendu le livre. Il devait avoir vu la réponse qu'elle avait écrite sous son message chiffré. En utilisant le même code, elle lui avait répondu "Qui es-tu?" ainsi que "Pour quoi?". Jessie se mit à manger plus lentement, pour ne pas finir son repas avant qu'il ne soit installé. Elle espérait qu'il se place en face d'elle.

Ses prières furent exaucées; il commença à manger. Après plus de trois minutes, elle lui donna un petit coup de pied dans le tibias. Intérieurement, elle était interpellée par le fait qu'il ne l'eut pas regardé une seule fois, après l'échange écrit qu'ils avaient eu. Pourquoi s'était-il installé là, si ce n'était pas pour communiquer avec elle? Il lui rendit le coup. Que cela signifiait-il? Elle remarqua soudain qu'il ouvrait et fermait son poing sans s'arrêter, comme pour attirer son attention. Elle fixa ses mains. L'inconnu, voyant qu'elle le regardait enfin commença à appeler un code;  il mimait des chiffres avec ses doigts, avec intervalle régulier. Jessie était heureusement dotée d'une mémoire exceptionnelle. Elle mémorisa le code et se dépêcha de rejoindre sa chambre.

Après l'avoir noté et déchiffré, elle regarda le résultat. CHAMBRE FIE FJH. Elle ne comprenait pas ce que cela voulait dire. Peut-être qu'un deuxième code était caché dans le premier, pour être certain que personne ne le comprendrait. Prise d'un soudain éclair de génie, elle comprit ce message qui, à première vue, n'avait pas de sens. L'inconnu lui avait donné rendez-vous. FJH signifiait en fait 15H, il avait donc fixé une heure précise pour qu'ils se voient. Quant à FIE, cela voulait dire 140, pour indiquer le numéro de sa chambre, que Jessie avait déjà vu inscrit sur le poignet du jeune homme lors de leur première rencontre. C'est ce chiffre qui lui avait mis la puce à l'oreille. Les chiffres n'étaient pas à traduire mais à laisser tels quels. Mais elle ne comprenait pas pourquoi il lui avait donné rendez-vous à cet endroit là. Devant sa chambre, ils ne pourraient pas communiquer, de quelque façon que ce soit. Le gardien de l'étage avait beau dormir, la zone devait être déserte, les enfants étant en étude, et les adultes au travail. Un membre du personnel passant par là pourrait les surprendre. Et si d'autres habitants se trouvaient là par hasard, ils les verraient forcément. Avoir des témoins pourrait se révéler dangereux. Elle réfléchit plusieurs minutes avant de se raisonner. Puisque jusque là l'inconnu ne s'était apparemment jamais fait prendre, Jessie devait lui faire confiance.

Il était à peine 13h10, il fallait qu'elle s'occupe d'ici là. Elle se mit devant son écran, pour au moins regarder un bout de la leçon du jour. Elle traitait des différents secteurs d'activités de la Boîte. Jessie s'y intéressa, bien qu'une partie de son cerveau continuait de penser au rendez-vous. Apparemment, le secteur U était l'un des plus grands, puisqu'il était celui qui possédait le plus de champs. D'ailleurs, là où elle vivait, les adultes étaient plus de trois quart à travailler pour nourrir un quart du nombre total d'habitants de la Boîte. Les autres étaient répartis dans le textile,  l'industrie, les mines ou d'autres domaines mineures, souvent spécifiques à un secteur de la Boîte. La suite du cours apportait plus de détails à ce sujet.

Jessie était si absorbée, que quand son regard quitta l'écran pour vérifier l'heure, il était déjà 15h10; Elle était en retard. L'adolescente prit tout de même le temps de sortir de sa chambre en silence. Le couloir était désert. Pour sa sécurité, elle jeta un coup d'œil vers une extrémité de celui-ci; le garde était assoupi. Au moins, il ne serait pas là pour lui demander ce qu'elle faisait. Mais elle avait tout de même peur d'avoir raté sa chance concernant l'inconnu. Peut-être s'était-il rendu autre part en voyant qu'elle n'était pas là pour le rendez-vous. Jessie alla se planter devant la porte 140. En moins de dix secondes, elle s'ouvrit et un bras la tira à l'intérieur de la chambre.

On ne cherche pas le bonheurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant