La situation se présentait idéalement pour nos deux rescapés. D'une part, leur petit contre-temps s'était achevé sans qu'aucun des deux ne soit sérieusement blessé. D'autre part, ils savaient exactement que faire et où aller. Grâce à des indications données par erreur au moyen d'un talkie-walkie par un soldat, ils se dirigeaient vers le sud. Là-bas devaient se trouver des voitures garées, avec peu voire aucun garde s'ils étaient chanceux. La majorité d'entre eux étaient postés à l'orée ouest de la forêt et attendaient toujours leurs ordres. Avec un tel champ libre, ils n'allaient pas se gêner. Si tout se déroulait comme prévu, ils pourraient voler un des véhicules pour s'enfuir de cette forêt grouillant de soldats. Leur seul problème était qu'ils n'avaient pas de clé pour démarrer une voiture. Aucun des trois hommes qu'ils avaient fouillés n'en avait en sa possession.
Sur ce point, John était à court d'idées. Mais vu qu'ils n'avaient nulle part où aller sinon, donc ce n'est pas comme s'ils avaient réellement le choix.
La pluie s'était arrêtée depuis peu, et seules quelques gouttelettes glissaient encore des hautes feuilles. Mais Jessie n'avait plus froid. Son ancien pull complètement trempé était à présent plié dans son sac et elle portait désormais une épaisse veste couleur cendre avec un nouveau pull d'une couleur similaire. Son ancien propriétaire n'était pas prêt de le récupérer.
Aucun des deux ne parlait. Le duo était en effet en train de déguster son petit-déjeuner, c'est-à-dire qu'ils se goinfraient des provisions appartenant auparavant à leurs adversaires. Entre les barres de céréales et les fruits secs, ils se sentaient comblés. Après une journée entière de privation, ils sentaient enfin leur palais revivre. C'était également l'occasion de reprendre des forces, jusqu'au prochain refuge dans lequel ils espéraient rapidement pouvoir dormir.
Jessie était apaisée. Elle n'avait goûté qu'une fois à ce genre de mets délicieux. Alors qu'elle était toute petite, sa maladresse occasionnelle l'avait fait renverser son plateau du midi. Alors que sa maigre ration se mêlait à la boue hivernale, un soldat qui avait vu le malheur arriver lui avait tendu une barre de céréale tout droit sortie de sa poche. Ce jour-là, Jessie n'avait pas regretté son manque d'adresse. Son seul regret était d'avoir surpris ce même soldat se faire injurier par un de ses supérieurs avant qu'elle n'eut quitter le réfectoire de plein air.
La jeune fille secoua la tête pour chasser ce souvenir d'injustice. Ils marchaient toujours, mais cette fois aucun bruit de mastication ne se faisait entendre, le repas était terminé. Jessie ne profita pas de cet instant pour s'adresser au général. Elle était mal à l'aise à l'idée qu'il puisse reparler de ce qu'il s'était passé dans la grotte. Même si à priori il devait la féliciter, elle ne voulait pas qu'il la complimentât. Tout cela était passé si vite, et en y repensant, ce n'était pas vraiment elle qui avait réagi si héroïquement, c'était son instinct. Elle ne pouvait pas se faire complimenter pour un courage qui n'était pas le sien. C'était plutôt à elle de le remercier pour son plan d'attaque. Il avait réagi si vite face à la menace.
Mais lorsque John ouvrit la bouche, ce ne fut pas pour évoquer cela.
- Sergent Swell, dit-il. C'est comme ça qu'on m'appelait avant. Tu sais petite, ce n'est pas un hasard si je t'ai suivi l'autre jour. Ce n'est pas non plus le destin qui nous a réuni. Non. C'est le sens du devoir, le désir de changement. Je ne suis pas l'homme que tu penses.
Sur ces mots, ils restèrent un instant totalement silencieux, marchant parmi les branches cassantes de la forêt impénétrable.
- Jamais je n'aurai cru il y a quelques années que je ferai partie des dissidents. Petit, je ne rêvais que de prendre la place de sergent. A dix-huit ans, j'ai intégré l'armée de Lycoht, pensant agir pour une noble cause. J'étais alors assigné à de la surveillance dans le secteur J. Deux ans après mon intégration, le petit-fils Olkwood a pris la tête du pays. On avait tous les deux presque le même âge. Je pensais qu'il allait se comporter comme son prédécesseur. Déjà à cette époque je le voyais comme une brave figure, un exemple pour la jeunesse. J'étais persuadé qu'il brillerait aux yeux du monde. Il n'en était rien. Quel idiot j'ai pu être... Lorsque son grand-père mourut, je pensais que le jeune Kit serait changé par une telle perte, ravagé par le chagrin. D'un côté, j'avais raison, il a bel et bien changé. Ce n'était plus le même homme qui dirigeait le pays. Ma seule erreur fut de penser que je devais faire comme les autres soldats; obéir sans réfléchir. Pourquoi remettre en questions les ordres donnés par un homme bon? J'ai découvert en quoi j'avais tord. Alors que j'entrai dans ma cinquième année de service, on m'a transféré dans un autre secteur. Le secteur W.
VOUS LISEZ
On ne cherche pas le bonheur
Fiksi IlmiahQuand on vit dans un monde où il est interdit d'être heureux, il faut savoir déroger aux règles. C'est en tout cas ce que va faire Jessie, une fois qu'elle commence à entrevoir ce que devrait être sa vie, au travers des yeux de Thomas, un inconnu qu...