Chapitre 2

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C'est la récréation de l'après-midi, je suis avec mes deux meilleurs copains sur le dossier d'un banc, dans la cour. J'observe Faustin qui se défend au ping-pong, face à un de ses amis. Je regarde ses cheveux battre d'un côté à l'autre, son bras qui enchaîne des mouvements secs pour renvoyer la balle, son corps onduler au rythme de ses déplacements latéraux. C'est un beau garçon. Il émane de lui une grâce et une aisance peu communes, ce qui fait qu'il est apprécié au sein du collège. Il fait partie de ceux avec qui on voudrait tous être amis, de ceux avec qui les filles aimeraient sortir et avec qui les mecs aimeraient plaisanter. Il est un de mes potes, mais on n'est pas spécialement proches pour autant. On est simplement camarades de classe, était voisins lors du cours de SVT, l'année dernière, et connaissances quand on se croise dans la rue.

Je ne peux pas m'empêcher de le contempler pendant les pauses. C'est un petit plaisir quotidien auquel je ne fais même plus attention tant il est entré dans ma routine. Seulement, voilà : j'ai oublié que mes copains sont avec moi, et que pour eux, il n'est pas forcément habituel que je regarde Faustin de cette façon. Et surtout pas aussi longuement.

–Qu'est-ce qui t'arrive, Franky ?Tu mattes Louna ? Tu voudrais sortir avec ?

Je secoue la tête, soulagé qu'ils pensent que mon regard était porté sur la jeune fille qui est assise à côté de la table, encourageant les deux joueurs. Ils me charrient un peu, persuadés que j'ai le béguin pour cette demoiselle à qui je n'ai jamais parlé et à qui– malgré sa beauté – je ne m'intéresserai jamais. Je les laisse jacasser sans me lasser de retracer des yeux chacune de ses mèches, chaque pli de ses vêtements. L'observer est une activité dont je ne me lasserai jamais. Pourtant, je m'en détourne, parce que je sens des picotements dans mes doigts. Je pense tout d'abord qu'ils sont dus à ma position (je les avais coincés sous mes cuisses pour les réchauffer), puis comprends qu'il n'en est rien quand les étincelles arrivent dans mes poignets. Peut-être suis-je parano, ou peut-être vont-ils plus loin qu'hier. Mes mains ont disparu. Et, comme d'habitude, ni Léo ni Martin ne s'en rendent compte.

La sonnerie nous indique que les cours vont reprendre, je vois Faustin crier de victoire en sautillant, ça me soutire un sourire. J'en avais bien besoin. Je vais aller en français, écrire comme si de rien n'était alors que mon stylo flottera en l'air, et constater que personne n'en a cure. Je souffle fortement, et Martin se retourne vers moi pour me dire que le français, ça le saoule aussi. Je lui adresse un sourire crispé, n'ayant pas tellement la tête à me plaindre de mes leçons. Je me souviens cependant qu'ils n'ont que ça à penser. Je jette un œil à gauche, Faustin me fait un geste de la main auquel je réponds malgré moi. Je ne peux pas m'en empêcher, avec lui. Pourtant, je n'ai aucune chance.

**

Je quitte le collège le cœur lourd. J'ai hâte et en même temps peur de retrouver le carnet de la fille invisible. J'appréhende, pour m'exprimer comme le voudrait ma prof' de lettres. Je flippe, pour parler comme mes copains. Ceux-ci sont juste devant moi, ils gambadent gaiement, à des années-lumière de mes préoccupations. Et Léo se retourne pour me proposer une séance de console dans son sous-sol, un de mes endroits préférés dans cette ville sale. Je décline gentiment, les laisse aller s'amuser ensemble en entrant dans mon immeuble. Ils me saluent puis s'éloignent bras dessus bras dessous. Je monte les escaliers pour aller entrer chez Hortense.

Tyni accourt à toute vitesse en m'entendant arriver, elle vient poser ses pattes sur le bas de mon ventre, gueule ouverte et en demande expressive d'affection. Je caresse sa tête longuement en essayant d'enlever mes chaussures sans tomber ; tentative se soldant d'ailleurs par un échec. Assis sur le paillasson, je me débarrasse donc de mes baskets et de mon sac de toile usée. Il faudrait que je pense à en racheter un, une des deux bretelles s'est détachée et la seconde menace de se faire la malle à tout moment. En plus, dès qu'il pleut, mes cahiers sont trempés.

InvisibleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant