Faustin m'observe avec un air sérieux peint sur son beau visage. Alors, je lui raconte. Je lui parle d'Hortense qui sait que je disparais. Je lui parle de toutes ces fois où mes parents n'ont pas su voir qu'il y avait un problème, de toutes ces fois où Léo et Martin sont passés à côté aussi. Je lui parle du carnet, le lui montre. Il le feuillette, calmement en apparence, mais je sens bien qu'il se maîtrise pour ne pas craquer, pour être là pour moi. Je l'en remercie.
Ma gorge se noue au moment d'aborder la partie difficile. Ma mort prématurée et, bien sûr, celle d'Élisabeth. C'est peut-être bien celle-là qui me fait le plus mal. Je me bats contre les larmes, ressors victorieux de ce combat mais pas fier pour autant, loin de là. Je lui fais lire la dernière page utilisée, celle de la lettre de sa mère. Son suicide peu de temps après s'échappe de ma bouche aussi. Faustin repose le carnet sur mon sac, se lève pour venir s'agenouiller de part et d'autre de mes jambes pour me serrer contre lui. Il pleure dans mon cou.
Je passe mes mains dans son dos, ose les glisser sous son gros pull. Il frémit, puis resserre sa prise sur mes épaules en ramenant son visage face au mien. Il m'observe, les yeux brillants, je sens son souffle sur mes lèvres. J'y mêle le mien, mes yeux commencent d'eux-mêmes à se fermer. Il se rapproche encore un peu, je me laisse aller à supprimer la distance entre nos lèvres qui se retrouvent. J'emmerde tous ceux qui disent qu'on ne sait rien de l'amour, à douze ans. Moi je sais que l'embrasser lui, et personne d'autre, est la meilleure chose qui me soit arrivée depuis ma naissance.
Ses larmes se mêlent au baiser, il me répète qu'il est désolé dès que nos lèvres s'écartent une seconde avant de se rejoindre à nouveau. Je finis par m'écarter pour lui dire qu'il n'y est pour rien.
– Je ne veux pas te perdre, souffle-t-il alors.
– Moi non plus... surtout depuis que tu m'as appris qu'il pourrait y avoir quelque chose entre nous.
– Il y a quelque chose entre nous, Frank.Je hoche la tête, hypnotisé par son regard si sérieux et pourtant si tendre quand il prononce mon prénom.
– Comment peux-tu affirmer qu'il t'arrivera la même chose qu'elle ?
– Le bon sens, murmuré-je.
– C'est impossible...Je suis passé par là aussi, à refuser l'évidence. Une façon de me protéger, de garder espoir. De repousser la mort encore un peu. Le déni.
– Je ne veux pas partir, finis-je par lâcher avant de me réfugier dans ses bras.
Il secoue la tête, reniant encore une fois mes paroles. Il se contente de me serrer contre lui, je n'ose pas imaginer tout ce qui peut bien se passer dans sa tête après avoir appris tout ça. Il écarte un de ses bras de mon dos, va attraper le carnet. Je le laisse donc le regarder plus en détail, m'installant derrière lui pour entourer son ventre de mes mains. Je cale ma tête contre son épaule, détournant le regard pour ne pas contempler à nouveau ces pages d'une tristesse infinie, et ferme les yeux. Je l'entends tourner les feuilles une à une, doucement, à un rythme régulier.
De temps à autre, ses doigts frôlent les miens, viennent s'y enlacer ou juste se perdre quelques instants sur ma peau. Je frissonne à chaque fois, ne me lasse pas de ses marques d'affection. Puis ses mouvements se stoppent, il referme délicatement la couverture du carnet, reste pensif un moment. Il prend mes mains, les sépare de son torse et se retourne, passant ses jambes au-dessus des miennes pour nous rapprocher. Je cale mon visage dans son cou, inspirant par petites bouffées son odeur alors qu'il caresse mon dos, par-dessus mon manteau épais.
On reste un long moment sans bouger, sans parler. Maintenant, il sait tout et, même si je suis mort de trouille, ça me fait un bien fou. Je ne sais pas encore ce qu'il va décider, s'il parviendra à passer outre ou non ; mais le poids qui oppressait mon cœur depuis que j'ai commencé à lui cacher la présence de ce carnet s'envole au rythme de ses caresses. La balle est dans son camp, à lui de trancher sur ce qu'il veut ou non.
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Invisible
ParanormalDans une ville grise et triste, un garçon grandit. Frank a douze ans, expérimente les premiers amours d'adolescent, les sorties entre copains, les longues heures au collège... Mais, plus important, Frank disparaît. Alors, il se réfugie chez sa voisi...