Chapitre 9

198 23 20
                                    

Quand je reprends connaissance, la première chose à laquelle je pense est que j'ai envie de vomir. Ma bouche est pâteuse, j'ai l'impression d'avoir la gorge nouée et les membres engourdis. Mes oreilles paraissent emplies de coton, je ne distingue pas bien les sons. Je me décide à ouvrir les yeux, regarde autour de moi. Je suis dans la chambre d'Hortense, on y a rajouté un lit pour moi. Ma voisine me contemple d'un air inquiet, son regard s'illumine quand je tente un sourire. Elle est assise, le dos calé contre deux gros oreillers, et soupire de soulagement en me voyant réveillé. Je suis tellement heureux de la revoir. J'ai l'impression que ça fait une éternité que je suis entré dans sa chambre, la trouvant malade dans son lit, enfermée dans le noir. Je tente de bouger, parviens à sortir un bras de sous la couverture ; j'étouffe un cri en voyant qu'un câble arrive dans ma main. J'imagine l'aiguille se trouvant sous le scotch épais qu'on a collé sur ma main pour la maintenir en place, et réprime un haut-le-cœur. Je ne supporte définitivement pas les hôpitaux.

– Tu es enfin réveillé, François. Tu nous as fait peur, murmure soudain ma voisine, et je me mets à pleurer.

J'ai l'impression de ne faire que ça ces derniers temps. Mais je n'ai aucun autre moyen d'encaisser tout ce qui m'arrive. Sa voix douce me rappelle le carnet, Élisabeth et sa mort, la lettre de sa mère, Romain, Faustin, le fait que je vais disparaître aussi. Trop de pensées qui se battent dans mon esprit. Je ne supporte plus d'avoir tout ça en tête.

– J'ai eu tellement peur, parviens-je à hoqueter entre deux sanglots.

Elle m'offre un sourire réconfortant, ne pouvant pas se lever pour venir me voir. Une personne entre dans la chambre, une infirmière en blouse blanche. Elle vient vérifier mon écran, passe sa main sur mon front en me demandant comment je me sens. Je lui décris du mieux que je peux les sensations qui me traversent, fais l'impasse sur mes mains transparentes. Je ne veux pas qu'on me prenne pour un fou. Puis elle repart, et je m'interroge, ayant l'impression d'avoir un trou noir au lieu du ventre.

– Je dors depuis combien de temps ?
– On est vendredi midi, m'apprend Hortense. Un moment, donc.
– Vendredi ?! Mais le collège... ?
– Tes parents sont au courant, tu penses bien. Et Marguerite m'a affirmé qu'elle s'occupait de mes chiens, ne te fais pas de soucis pour eux.

Une sorte de soulagement me prend dès qu'elle m'apprend que Tyni et Flack ne sont pas livrés à eux-mêmes. Je ne ressens rien de tel envers mes parents, je me demande même s'ils ne se sentent pas mieux sans avoir à s'occuper de moi. Je me gronde intérieurement de penser une chose pareille, et reporte mon attention sur Hortense, qui a tout de même meilleure mine. Puis, mes yeux tombent sur le carnet, toujours posé sur la table à côté de son lit ; elle suit mon regard, reste songeuse un moment.

– Tu l'as fini, n'est-ce pas ?

J'opine du chef, me redresse difficilement en position assise. Je remarque alors que l'invisibilité s'étend jusqu'à la moitié de mes biceps, je la sens presque jusqu'à mes genoux. Déjà. Je tente de penser à autre chose, commence à parler avec Hortense de choses légères, tout le contraire de nos habitudes. Elle me questionne sur Faustin, se rend aussitôt compte que je ne veux pas m'étendre sur le sujet et n'insiste pas, elle sait que je viendrai vers elle au moment voulu. On bavarde ainsi une bonne partie de l'après-midi après que j'aie avalé de bon appétit un repas complet. Je me sens devenir brumeux, me rallonge pour me rendormir, épuisé par tous les contrôles effectués.

Quelqu'un entre dans la pièce d'un air empressé. Il me semblait que l'infirmière devait passer un peu plus tard. J'entrouvre les yeux pour déterminer qui est le nouvel arrivant, manque de m'étouffer avec ma salive.

– Frank !!

Faustin se précipite vers mon lit, des larmes au coin des yeux et des traces d'humidité sur les joues. Il m'attrape la main, ses épaules tremblent et il serre les dents en regardant le lit. Hortense ne fait aucun commentaire, se retourne pour nous donner un peu d'intimité. Je me sens mal, je ne veux pas le voir dans cet état. Ni réaliser que c'est moi qui en suis le responsable. Il repose ses iris sur mon visage, les yeux brillants et la mâchoire crispée pour retenir ses larmes. Je lui souris pour le rassurer, bien que je ne sois pas dans un meilleur état que lui mentalement.

InvisibleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant