Chapitre 7

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J'arrive au collège, mon sac de sport en bandoulière et d'une humeur de chien. Mes écouteurs se sont cassés quand j'ai fait tomber toutes mes affaires, hier. Quelle journée de merde.

Je suis en avance, m'assieds sur une barrière de bois non loin de la grille du collège, et sors de mon sac le carnet noir. Je ne l'ai pas ouvert après être rentré de chez Hortense, épuisé et déjà en parfaite condition pour m'endormir, ce que j'ai fait aussitôt. Mes devoirs sont passés à la trappe, mais ils étaient peu nombreux et peu importants, aussi je les ignore et ouvre le journal sans attendre. Je vérifie tout de même qu'il n'y ait personne que je connaisse autour pour être certain d'être tranquille, puis me plonge complètement dans l'univers de l'auteure. La nièce d'Hortense. La mystérieuse jeune fille qui est comme moi mais dont je ne connais même pas le prénom. Je me demande s'il serait indiscret de poser la question à sa tante. Hortense, sa tante. J'ai du mal à m'y faire. Pour moi, ma voisine a toujours été seule avec ses deux chiens. Il m'est étrange de l'imaginer grandissant avec une sœur.

Je me concentre, détaille la lycéenne représentée. Elle a un sac sur une épaule, est vêtue d'habits amples et colorés, porte de gros bottillons sombres. Un casque autour de son cou signale son goût pour la musique. Elle sourit, les mains sur les hanches. Ou plutôt, le début de ses bras insinuant qu'elle est dans cette position. Ses manches courtes dévoilent parfaitement le problème. Les contours de ses membres invisibles sont tout de même représentés très légèrement au crayon bleu pâle, comme sur le dessin précédent. La légende est écrite sur quelques feuilles qui semblent s'envoler avec le vent.

Mon coude est parti, mes pieds aussi. Romain ne voit rien, Maman ne voit rien, mes profs ne voient rien. Personne ne voit rien.

Je tourne la page, c'est à présent une fille un peu plus jeune, en maillot de bain, comme pour bien montrer ses pieds, chevilles et bras disparus. Elle est de dos, ses longs cheveux ondulés tombent sur ses reins en un enchevêtrement de mèches de toutes les couleurs. Le reste du dessin est en noir et blanc, le contraste est saisissant.

Je me demande ce que ça donnera à la plage. Ou peut-être que je ne tiendrai pas jusque là...

L'animation se fait sentir autour de moi, je referme le carnet comme si je venais de me prendre un seau d'eau glacée sur la tête. Elle a raison de se poser cette question, elle introduit la mienne : jusqu'à quand vais-je rester moi ? Combien de temps vais-je... rester en vie ? Puisque visiblement je mourrai une fois invisible. La gorge nouée, je range soigneusement le journal dans mon sac, entre deux livres pour être sûr de ne pas l'abîmer. J'ai à peine tiré le zip qu'une main laisse une tape sur mon épaule, me faisant tressaillir violemment. Je me retourne vers Faustin, qui arbore un sourire, comme à son habitude. Je le salue, il s'assied à côté de moi, avant de me tendre un sac à dos.

– Tiens. Ce sera mieux que ça, fait-il en désignant mon sac actuel du menton.
– Hum... c'est clair et merci, mais... Non merci. Franchement, je préfère pas.
– Si c'est pour moi que tu t'inquiètes, c'en est un qui ne me sert plus depuis un moment.

Je pèse le pour et le contre. Si j'attends que mes parents se décident à me racheter quelque chose, Noël sera probablement arrivé ; mais je ne veux pas commencer à lui piquer ses affaires... Il insiste, me fourre son cadeau dans les mains avec un clin d'œil. Je soupire, réfléchis encore un peu, puis accepte finalement. Il lâche une exclamation de joie, lève le poing en l'air en signe de victoire.

– Tu voulais à ce point t'en débarrasser ? le taquiné-je d'un air supposément inquiet.
– Hein ? Non ! Pas du tout ! C'est juste que... je pensais pas que tu voudrais bien.

Je pouffe, le remercie avec un sourire chaleureux. Il bloque une seconde, darde son regard sur le sol. J'observe ses mains liées entre ses genoux, si élégantes. Je les trouve magnifiques, je n'ai jamais vraiment compris pourquoi j'avais cette fascination pour cette partie du corps. En particulier celles des garçons. Quand elles bougent, je reprends mes esprits et relève mes yeux vers son visage tourné vers moi. Il m'a surpris en train de le fixer, je me fais violence pour ne pas rougir, sans résultat. Il me sourit, m'indique de transférer mes affaires de mon sac au sien, ce que je fais aussitôt, trompant la gêne. Quand je sors le carnet noir, il semble curieux. Je m'empresse de le fourrer entre deux cahiers, ce qui accentue encore plus son envie de me questionner. Je détourne le regard, il hésite.

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