Chapitre 4

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J'arrive au collège et soupire en voyant la masse d'élèves agglutinée devant les grilles encore fermées. J'enfonce d'autant plus mon menton dans mon manteau, et regrette d'avoir décidé de laisser mon écharpe à l'appartement. L'automne est définitivement arrivé et, frileux que je suis, j'ai déjà hâte d'être à l'été prochain. Ma musique se termine, je grogne parce qu'un de mes écouteurs vient de tomber et n'attends pas pour le ramener à mon oreille. Je surprends tout de même un rire, tourne la tête pour voir Faustin qui pouffe dans son col. Quand son regard croise le mien, il m'offre un sourire compatissant et quelque peu gêné. Il s'approche de moi, me tape dans le dos avec un retentissant :

– Salut !

Crispé et perturbé, je mets un temps avant de répondre.

– Ouais, salut. Hum...Pour hier...
– Désolé, je pensais pas... que tu réagirais comme ça.
– J'aurais pas dû.

Je remets mon écouteur pour clore la discussion, mais il l'attrape. Une envie incontrôlée de lui mettre une gifle me prend. On ne me dérange jamais quand je veux écouter ma musique. Et encore moins si j'ai mes oreillettes. Il semble s'en rendre compte car il lâche mon écouteur que je ne ramène finalement pas à mon oreille. Il semble attendre quelque chose. Il plisse les yeux, papillonne des paupières et ouvre la bouche mais il n'a pas le temps de s'exprimer que la grille est ouverte et que le flux nous emmène vers l'intérieur. Je m'en réjouis, m'apprête à monter vers ma salle de classe, mais il attrape mon poignet.

– Faudra que tu m'expliques, souffle-t-il à mon oreille avant de disparaître parmi les collégiens.

Je ne sais pas s'il parle de ma réaction de la veille ou de celle de ce matin même. Et, à vrai dire, ça ne change pas grand chose. Je secoue donc la tête et cherche des yeux mes amis, que je retrouve en train de rire à s'en abîmer la mâchoire devant la salle de classe. Je les rejoins, ils me racontent leurs parties de la veille à la console, ils rient beaucoup et je me force à les suivre par moments pour ne pas paraître suspect. Enfin – je ne pensais pas songer cela un jour – la professeure arrive et nous fait entrer en cours pour une heure que je passe à rêvasser. La matinée s'écoule ainsi, je ne retiens que la moitié de ce que racontent mes enseignants.

Puis arrive l'heure de déjeuner et Léo me prend un bras, attrapant celui de Martin de son autre main, et nous tire vers la cantine en courant. J'éclate de rire, le suis volontiers et joue des coudes dans la file pour qu'on ait moins à attendre. Martin rit à côté de mon épaule, on échange un tcheck connu de nous seuls, et tellement compliqué qu'on n'arrive jamais à le faire du premier coup. Léo se moque de nous sans cacher son sourire. Je me sens léger, puis les crépitements arrivent. Et tout retombe : mon enthousiasme, la légèreté de l'instant, l'aspect hors du temps de ce moment, comme si rien d'anormal ne s'était jamais passé dans ma vie. Mais les étincelles ne s'arrêtent pas à mes poignets, elles montent encore un peu. Peut-être n'est-ce que mon esprit paranoïaque, mais j'ai l'impression qu'elles vont plus loin qu'hier. J'ai la gorge nouée, je cache mes mains invisibles dans mes manches en baissant les yeux.

Léo remarque mon soudain mutisme, m'interroge quant à sa raison mais j'élude sa question et m'excuse en prétextant aller aux toilettes.

– Gardez-moi une place, leur dis-je avant de m'enfuir.

Martin acquiesce et je n'ai pas le temps de voir la réaction de notre ami commun que je suis déjà loin. Je serre les dents, j'en ai plus qu'assez de ces conneries ! Je fulmine, mes poings crispés me font mal et je me bats contre l'envie grandissante de hurler jusqu'à ne plus avoir d'air. Ou plonger la tête la première dans une piscine.

Au lieu de ça, je me dirige vers la cour où je sais que je vais trouver Faustin. Je ne sais pas pourquoi je veux lui parler, d'autant plus qu'il m'a envoyé paître hier, mais je me dis que s'il y a bien une personne avec qui je veux être parfaitement honnête, c'est lui. Justement parce qu'il n'y a rien entre nous, et qu'il m'a déjà envoyé chier – je sais à quoi m'attendre. Je le cherche du regard, le souffle court et le cœur battant. Je ne le vois pas. Je demande à un de ses copains s'il sait où il est, et il m'indique un banc dissimulé derrière les baby-foot. Je m'en approche, le trouve avec une fille qui se prénomme Alice, sauf erreur de ma part ; ils rient en chœur. Mais, quand il me voit, il redevient sérieux. Moi, je perds mes mots. Ils s'envolent avec mon souffle, ces traîtres. Et je me retrouve comme un imbécile à essayer de formuler une phrase intelligente. Et intelligible.

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