Jeu de rôles

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Ophélie attendait, droite et raide dans ce corps si grand qu'elle dominait une bonne partie de l'assemblée qui s'était massée en fin de représentation dans l'imposant Salon du Soleil. Il lui était maintenant facile d'ignorer les plaintes et doléances des quémandeurs en tous genres qui profitaient de la présence inespérée de l'intendant. Un seul mot de cette voix d'outre tombe ou un seul regard acéré et le silence régnait autour d'elle.

Elle avait somme toute passé une bonne soirée à regarder le spectacle sans avoir à y participer. Berenilde avait été, comme prévu, majestueuse et savait parfaitement jouer de sa séduction et sa beauté. Ophélie avait observé également avec un œil attendri la très courte prestation de sa tante Roseline. Le public avait eu dû mal à percevoir sa timide voix et la pauvre tremblait au moment de confier à Isolde la fiole sensée symboliser le philtre d'amour.

Mais le passage le plus attendu pour Ophélie fut sans conteste l'entrée en scène de Thorn dans son corps de femme, lui même vêtu de l'habit de Mime, lui-même déguisé en rameur. Il était affublé d'un chapeau plat ridicule et d'une rame bien trop grande pour lui dans laquelle il se prit les pieds et chuta lors de son entrée. Berenilde lui jeta un regard noir qui était peut-être accompagné d'une de ses griffes personnelles.
Pauvre Thorn! Obligé de ramer dans le vide dans un bateau de carton pâte devant un public amusé. Il dû percevoir le regard d'Ophélie, ou plutôt le sien, parmi les spectateurs car il se figea un instant dans son geste, puis repris son rôle, tête baissée et le visage imperturbable.

Même si elle ne le tenait pas comme responsable de la situation insolite dans laquelle ils étaient à présent tous les deux, il n'en demeurait pas moins qu'elle prenait un certain plaisir à le regarder se dépêtrer d'une situation qu'elle aurait dû subir elle-même. Après tout c'était de la faute de Thorn et de sa famille si elle se trouvait au Pôle et avait vécu ces dernières semaines dans la peau d'un pauvre domestique. Au moins, il se tenait dorénavant au plus près pour veiller lui-même sur sa tante et l'enfant qu'elle portait.

Ophélie prenait la chose avec philosophie, rassurée par ce corps qui la protégeait mieux qu'un déguisement. Car, à part celui qui leur avait jeté ce sort, personne ne savait pour cet échange de corps et elle doutait fortement que Thorn ait pu en parler à quiconque. Qui viendrait donc à penser que la fiancée animiste est en fait l'intendant lui-même ? Et qui oserait encore l'attaquer alors qu'elle dispose maintenant de griffes, même si elle ne les maîtrise pas encore parfaitement et qu'elle en ignore la portée ?

Cette sortie à l'Opéra avait permis également à Ophélie d'échanger quelques mots avec l'ambassadeur qui se comportait bien sûr très différemment avec elle que lors de leur première entrevue. Il paraissait plutôt surpris de l'amabilité soudaine de son interlocuteur et semblait aussi inquiet et scrutait en permanence de jeunes demoiselles qui lui ressemblaient. Ophélie reconnut de loin les sœurs d'Archibald. Quel personnage étrange se dit-elle, séduisant bien que vêtu de haillons qui dessortaient des tenues extravagantes des autres spectateurs, et en même temps, il dégageait de sa personne une étrange attirance dangereuse. Comme une flamme à laquelle on serait tenté de s'approcher tout en sachant qu'elle peut à tout moment nous brûler.

Ophélie avait pu également apercevoir de dos Farouk qui avait passé une bonne partie du spectacle allongé. Mais lors des applaudissements finaux, l'esprit de famille s'était levé avec une lenteur et une désarticulation impressionnante pour se pencher vers Berenilde, rosissante de plaisir de redevenir la favorite des favorites.

Tout à coup, Ophélie se rendit compte que Mime se tenait à ses côtés, petit et muet comme il se doit, une flûte de Champagne en main. Il tentait visiblement depuis un moment d'attirer l'attention de l'intendant qui avait le regard haut perché et l'esprit ailleurs.

C'est à cet instant qu'Ophélie sentit dans son dos une claque retentissante et fut ainsi abordée par des personnes imposantes et étrangement familières. La famille Dragon. Gravés profondément dans la mémoire de celui qu'elle habitait, elle reconnut chacun des membres qui se tenaient à présent devant elle et se souvenait également de chaque sévice que chacun d'entre eux avait fait subir à son fiancé. Elle tressaillit en repensant aux nombreuses cicatrices qu'elle avait découvertes quelques heures plus tôt sur ce corps d'homme meurtri qu'elle avait voulu rafraîchir. Elle cligna des yeux, et fut vite de retour à l'instant présent et à la conversation tant cynique qu'indésirable. Heureusement, elle fut de courte durée.

Dès que le clan Dragon fut hors de vue, elle se tourna vers Mime qui lui fit signe de se diriger vers le grand Hall de l'Opéra. Encore sous le choc de l'entrevue qu'elle venait de subir, elle se laissa guider par le biais d'une rose des vents afin de trouver un endroit à l'abri des regards et des oreilles indiscrètes.

Ophélie se demandait s'il avait trouvé la raison et le remède à cette supercherie. Thorn devait certainement avoir une grande hâte de recouvrer son corps. Mais elle? Avait-elle envie de recouvrer le sien?

La Passe Miroir Challenge A Fanarts Promise 1.0Où les histoires vivent. Découvrez maintenant