Esprits contrariés

441 26 10
                                    

La porte à peine refermée à clé, il régna subitement un silence pesant dans la chambre de Berenilde. Ils avaient fait un bond hors de l'espace.
Ophélie prit une grande inspiration. C'était à elle à présent qu'incombait d'expliquer à Thorn et à sa tante comment ils avaient perdu l'entièreté de leur famille et ce d'une manière des plus cruelles. L'angoisse l'avait assailli depuis des heures et, bien sûr, elle n'avait pu donner libre cours à celle-ci. Au moins, ils étaient sains et saufs.

Berenilde prenant Ophélie pour son neveu, s'élança alors vers elle pour la tenir dans ses bras. Abasourdie, Ophélie vacilla devant l'étreinte soudaine de la belle dame qui mesurait à présent une tête de moins qu'elle.
- Mon garçon, je suis tellement soulagée de te voir!

Subitement, à la place de la contrition avec laquelle elle s'apprêtait à vivre les prochaines minutes, une nouvelle impression s'imposa à elle, ou plutôt un nouveau souvenir de Thorn. Et celui-ci la touchait personnellement. Elle vit, comme dans un songe, Berenilde protester puis accepter et finalement obéir à son neveu. Ophélie comprit alors que ce n'était pas Berenilde qui était l'investigatrice mais Thorn. C'est lui qui avait eu l'idée de ses propres épousailles avec une quelconque liseuse d'Anima afin de s'emparer de son don. Ainsi donc il voulait juste profiter de ses talents afin de lire le livre de Farouk? Quelle idiote était-elle ! La colère prit place dans son esprit, écartant en un éclair tous ses remords.

Ophélie se dégagea promptement de l'étreinte et avança dans la pièce. Elle balaya d'un regard d'épervier les personnes qui l'entouraient. Berenilde essayait de reprendre contenance, Jan, le garde-chasse, était aussi à l'aise qu'un grizzli dans une boîte à bijoux, l'ambassadeur s'inclinait bien bas devant une soubrette et la tante Roseline semblait avoir retrouvé tous ses esprits.

- Mes hommages, fiancée de Thorn! Comment diantre avez-vous atterri chez moi?
Ophélie sursauta. C'est Archibald qui avait parlé et il s'était adressé à la jeune femme devant laquelle il venait de faire une magistrale courbette. Lorsque l'ambassadeur s'écarta, Ophélie se reconnut et cela lui fit un énorme choc. Bien qu'elle s'interrogea plus tard sur la tenue de servante, ce qui l'atterra avant tout était de se voir, elle.

Depuis leur échange de corps, elle n'avait vu Thorn qu'en Mime ou rameur, pas en Ophélie. Ainsi donc voilà à quoi je ressemble? se dit-elle. Elle se toisa de la tête au pied. Elle ne menait pas large: Petite, les cheveux défaits, le tenue approximative, un œil virant au jaune et diverses ecchymoses aux bras. Elle pointa son regard à travers des lunettes qui avaient virées au bleu. Elle y percevait de la gêne, de la fatigue et un je-ne-sais-quoi mais pas de trace de tristesse pour ses pairs. Cela, elle pouvait le comprendre sachant ce qu'ils lui avaient fait subir depuis l'enfance.

Thorn regardait en alternance Ophélie et Archibald en fronçant les sourcils. Il avait l'air surpris des paroles et de l'attitude de ce dernier. Ophélie toussota dans son poing et redirigea l'attention de tous en invitant Jan à relater les tristes événements dont il avait été le témoin bien involontaire. Berenilde, maintenant assise avec beaucoup de prestance, semblait encaisser l'horrible histoire avec flegme. Thorn, derrière elle, restait impassible.

Lorsque Berenilde questionna le garde-chasse sur l'ange qu'il avait vu, Ophélie interrogea Thorn du regard. Avait-il avancé dans ses investigations? Le Chevalier était-il à l'origine de tout ceci? Ophélie en avait de plus en plus la conviction sans qu'aucune preuve ne puisse l'incriminer.

Ophélie attendit, impatiente, la fin de la narration du terrible massacre dont elle se serait bien passé d'entendre les détails qu'elle connaissait déjà. Elle fit assoir Roseline qui était bien la seule à avoir pâli et celle-ci fut saisie de l'attention que lui portait soudainement l'Intendant. Ensuite Ophélie tenta de mettre fin promptement aux flatteries de l'ambassadeur qui s'approchait bien trop près de Thorn. Elle ne laissa pas à ce dernier le temps de répondre, craignant qu'Archibald, qui la regardait en coin, ne trahisse ce dont elle préférait ne jamais se souvenir. En se retournant vers elle, l'ambassadeur tapota discrètement le tatouage de son front avec un sourire malicieux.

Ce simple geste stoppa Ophélie dans son élan. La toile! Elle ne vit pas les sourcils de plus en plus froncés de la soubrette. Perturbée, Ophélie ne prêta pas non plus attention au début de la conversation animée entre Berenilde et Archibald. Thorn essayait tant bien que mal d'y prendre part malgré son peu de crédibilité que lui offraient la silhouette et la voix de jeune femme.
Archibald proposait de devenir le parrain de l'enfant à naître en échange d'une alliance avec sa famille. Berenilde souhaita y inclure son neveu. Thorn d'une petite voix s'exprima enfin:
- Oui, Mr l'ambassadeur. Incluez-donc Mr l'intendant à votre protection!
À ces paroles, Ophélie tourna la tête vers la soubrette. Surpris, les autres en firent autant.

Ophélie se demandait s'il agissait là par pur égoïsme ou s'il tentait de la mettre à l'abri.
Archibald déclina en lui souriant, arguant que Mr l'Intendant était tout à fait à même de se défendre seul. Ophélie se mit à rougir ce qui ne devait pas être habituel sur ce visage taillé au couteau. Devant elle, les yeux de celui à qui appartenait ce visage se plissaient encore plus.
- J'accepte par contre d'offrir ma protection à votre petite fiancée... s'amusa Archibald.
- Je refuse, s'écria la soubrette.
- Entendu! Fit Ophélie d'une voix plus forte à l'adresse d'Archibald.
Ce dernier s'inclina ensuite et s'éclipsa de la pièce avec le garde-chasse. Ophélie fermant la porte juste derrière eux.
- On ne vous a pas demandé votre avis, persifla Berenilde à l'adresse de la soubrette, écoutez donc votre futur époux!
Roseline était sur le point de risposter.
- Taisez-vous! Lâcha glacialement Ophélie avec la voix de l'intendant à celle qui était censée être sa tante.
- J'ai à vous parler, fit-elle à l'attention de Thorn.

Afin de trouver un coin plus discret, Ophélie poussa le frêle Thorn jusqu'à l'antichambre. Elle dû baisser la tête afin de ne pas se cogner à la chambranle. Roseline était à leurs trousses et voulait subitement jouer le chaperon consciencieux mais elle ne comprit rien de l'échange houleux qui suivit.

- Je sais pour la cérémonie du don, je connais vos véritables ambitions ! Vous vouliez mon pouvoir! Vous m'avez choisie uniquement pour cela ! S'écria Ophélie de sa voix ténébreuse.
- Comment l'avez vous appris? Fit Thorn étonné.
- Votre mémoire.
- Ah.
- Oui, votre fidèle et indéfectible mémoire. Certes, elle est bien utile pour me permettre d'exercer VOS fonctions en votre absence mais c'est également une gageure de s'en défaire!
- Je sais. C'est impossible. Soupira la soubrette.
- Non pas tout à fait... mais bon.
Ophélie réalisa que la conversation risquait de prendre une tournure peu souhaitable aussi elle revint sur le sujet qui la mettait hors d'elle.
- Qui me dit que ce n'est pas vous qui avez orchestré cet échange de corps afin de récupérer mes mains?
- Sérieusement? Est-ce ce que vous croyez? Dit-il les yeux ronds.
- Non. Mais maintenant que vous avez mon pouvoir, pourquoi ne lisez-vous pas vous-même ce fameux livre? Le mariage ne serait plus nécessaire!
- Ce n'est pas si simple...
- Expliquez-moi ! Fit Ophélie de toute sa hauteur, les bras croisés.
- Parce que je comptais profiter de mon indéfectible mémoire - comme vous dites - en plus du pouvoir que vous m'auriez inoculé lors de la cérémonie du don.
- Ce que je regrette, c'est que vous ne m'ayez rien dit pour le don, que c'était la raison de ce mariage.
- Ce qui est fait est fait. Mais vous, ne m'avez-vous pas également caché quelque chose? Répliqua Thorn.
- Moi? Fit Ophélie, la voix incertaine.
- Oui. Vous connaissez l'Ambassadeur.
- Heu... évidemment... je l'ai vu à l'Opéra... Hasarda-t-elle.
- Non. Bien avant! Je vous ai vue dans un champs de coquelicots!
- Vue?
- Non, pour être plus exact, j'ai lu malgré moi vos lunettes.
- Voila qui est plutôt gênant... Puis-je savoir jusqu'où vous m'avez... lue?
- Le début. Fit-il un peu gêné.
- Ah... Si cela peut vous rassurer, vos pouvoirs peuvent également être très... envahissants!
- Vous n'avez pas répondu à ma question. Y a-t-il une raison pour laquelle vous avez jugé bon de me taire cette rencontre avec l'Ambassadeur? C'était lors de votre petite escapade je suppose?
- Oui en effet.
- Et en tant que futur époux, dois-je craindre quelque aveu?
Ophélie se raidit. Que pouvait-elle répondre à cela? Jusqu'où devait-elle s'aventurer dans ses déclarations?
- Je vois... Vous semblez hésiter et vous rougissez. Fit Thorn, la mine lasse.
- L'Ambassadeur n'a jamais obtenu aucune des faveurs auxquelles vous semblez faire allusion !
Puis, en montrant la silhouette en face d'elle, elle baissa le ton:
- Sachez que ce corps de jeune fille était chaste avant que vous n'en preniez vous-même possession !
Ce fut au tour de Thorn de rougir subitement.

La Passe Miroir Challenge A Fanarts Promise 1.0Où les histoires vivent. Découvrez maintenant