Thorn était debout, le front collé à la vitre embuée. Il regardait les hommes de la famille d'Ophélie attablés à une terrasse en contre-bas qui profitaient de quelques rayons de soleil. Il enviait leur liberté et leur insouciance qu'il n'avait pas.
Il était là, toujours coincé dans ce corps de petite liseuse animiste, dont la mère de celle-ci lui avait obligé d'enfiler un costume de bain à lignes et à volants. Ne voyait-elle pas quel affront c'était de porter cette tenue qui dévoilait si indécemment ces jolies formes? Il s'était directement emparé de son peignoir de bain afin de préserver la pudeur de sa fiancée. Ou peut-être était-ce sa propre pudeur...
Il glissa sa main dans une des poches du peignoir et serra la montre qui s'y trouvait. Il repensa alors à cette dernière visite qu'il lui avait rendue à l'intendance. Il n'était pas prêt de l'oublier, même s'il n'avait plus son excellente mémoire.
Il était tard ce soir-là lorsqu'il pénétra à travers le miroir de la penderie de son ancien bureau. Il perçut en premier un froid polaire qui tournoyait dans la pièce, puis, à la lueur de la lune, il découvrit un désordre sans nom. Ophélie était là, dans le noir, qui le regardait de toute sa hauteur, les yeux couleur iceberg de Thorn fixés sur lui.
- Je ne vous attendais plus. Lui lâcha-t-elle pour tout accueil.
- Que s'est-il passé? Demanda-t-il, un peu paniqué.Il la regarda prendre un de ses manteaux et occulter l'œil de bœuf éventré dont une multitude d'éclats de verre jonchait le sol. Thorn, par réflexe, se mit à genoux pour les ramasser.
- Laissez cela, vous allez vous blesser!
Thorn stoppa net son geste. Elle avait raison. La maladresse pathologique de sa fiancée l'entravait dans pas mal de ses actions. Il se leva et la regarda intensément lorsqu'elle s'assit à même le sol près du mur opposé. Son regard était vide et son écharpe la consolait et la câlinait.
- Deux individus, je ne les ai pas reconnus. J'ai dû sortir mes griffes. Enfin VOS griffes! Ironisa-t-elle.
- Se sont-ils enfuis?
- Non! Elle le regarda indignée. Mon écharpe les a ligotés pendant que je les maintenais hors d'état de nuire. Les gendarmes viennent de les emmener. Je les interrogerai demain.Impressionné, Thorn s'approcha d'elle lentement. Qu'il aurait aimé être l'écharpe en cet instant, qui l'enlaçait et la rassurait. Mais elle avait été clair dans ses propos. Son affection n'était pas réciproque même si leurs rencontres clandestines étaient de plus en plus conviviales.
- Mais, vous êtes blessée! S'écria-t-il lorsqu'il fut plus près d'elle.
Elle se frotta la joue à l'aide de sa manche, le regard perdu au loin.
- Ce n'est rien, ce n'est pas mon sang.Thorn ne savait que dire ou faire. Il rageait que ses ennemis s'en prennent à Ophélie. Il s'en voulait qu'elle se mette en danger pour une mission qu'il était censé faire lui-même. Tout cela était sa faute et il se sentait impuissant face à cette situation. Pire, il avait également reçu plusieurs menaces de mort, le corps d'Ophélie était lui aussi en danger. Compulsivement, il se mit à mettre de l'ordre dans la pièce et trier les papiers éparpillés au sol. Cela calmait ses nerfs et l'aidait à réfléchir.
D'un commun accord, ils décidèrent de faire appel à Vadislava, une invisible, afin de veiller sur lui et servir occasionnellement de messager. Certes, les Sables d'Opale étaient loin de la Citacielle et de ses pièges mais se trouvaient par conséquent inaccessibles par miroir. Thorn devrait donc s'en contenter.
Ce soir-là, Ophélie raccompagna Thorn jusque devant la penderie dont il manquait une porte. Il fallait qu'il y aille. Le trajet du lendemain serait long et il allait retrouver toute sa famille... à elle.
- Prenez soin de mes parents et, de grâce, comportez-vous le plus humainement possible!
Choqué de cette remarque, il fit la moue.
- J'essayerais, promit-il.
Elle glissa alors sa main dans son gilet et en sortit sa montre qu'elle lui tendit.
- Tenez, reprenez-là.
Puis, voyant qu'il allait contester, elle lui expliqua :
- Vous avez eu l'amabilité de me ramener mon écharpe et ce soir elle m'a probablement sauvé la vie. Je vous dois bien cela. Je sais combien vous y tenez.- Thorn en maillot de bain!
Thorn sursauta à cette exclamation et lâcha la montre qu'il tenait serré contre son cœur pendant qu'il se remémorait ce tendre souvenir. La montre fit un vol plané au dessus du carrelage de la piscine et instinctivement il se jeta à plat ventre sans aucun panache afin de réceptionner celle-ci avant qu'elle ne s'éclate sur le sol humide et froid, tout cela sous les yeux ahuris des petites sœurs espiègles.Celles-ci éclatèrent toutes de rire devant le spectacle qu'il venait de leur donner. Il ronchonna un peu, plutôt honteux que fâché. Il se devait d'admettre que la scène avait été cocasse et que ces jeunes filles étaient plus taquines que méchantes. Il était très mal à l'aise envers elles, ne sachant comment éviter leurs effusions de tendresse qui étaient destinés à une autre que lui. Jamais il n'avait connu tel comportement de la part d'autres enfants.
Thorn, en se retrouvant devant tous ces animistes, s'était attendu à ce qu'ils remarquent d'emblée la supercherie et ne reconnaisse pas leur Ophélie. Mais à sa grande surprise, la plupart d'entre eux étaient trop préoccupés par ces vacances inédites sur une nouvelle arche et des nouvelles rencontres qu'ils y faisaient pour prêter attention à l'accent et au comportement de leur propre parente pour qui ils étaient censé avoir fait tout ce chemin.
Celui avec qui il avait le plus d'échanges était le jeune frère, un certain Hector. Thorn l'avait félicité pour sa toupie à mouvement perpétuel et l'encourageait à continuer sur cette voie. Mais le jeune garçon était curieux et particulièrement perspicace. Il posait de bonnes questions, toutes plus gênantes les unes que les autres: Pourquoi, elle — Ophélie — avait tant changé? Pourquoi ne parlait-elle plus animiste? Pourquoi ne riait-elle plus à ses blagues? Le mariage la rendait-elle nerveuse ? Quand reviendra-elle à Anima? Pourquoi avait-elle la montre de son fiancé et ne portait plus sa fidèle écharpe? Comment Berenilde pouvait porter l'enfant d'un esprit de famille alors qu'elle n'était même pas mariée? Pourquoi son fiancé n'était pas là pour les aider à préparer leur mariage? Est-ce qu'elle l'aimait et l'avait déjà embrassé? Est-ce que leur différence de taille ne posait pas problème? Pourquoi un intendant portait-il de telles cicatrices, son métier était-il si dangereux? Pourquoi n'étaient-ils pas reçu à la cour alors qu'elle connaissait personnellement l'esprit de Famille? Pourquoi avait-elle choisi de devenir vice-conteuse alors qu'elle était si peu douée à raconter des histoires?...
Thorn, entouré de tout ce petit monde hétéroclite et remuant, sans pouvoir retrouver et seconder Ophélie, se sentait inutile et impuissant. Non, vraiment, ce séjour aux Sables d'Opale n'allait pas être une sinécure!
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La Passe Miroir Challenge A Fanarts Promise 1.0
FanfictionAfin de patienter jusqu'à la sortie du tome 4 de La Passe-miroir, La Clique sur Instagram à décidé de lancer le challenge A Fanarts Promise. Chaque semaine un thème. J'ai commencé cette fanfiction pour ma participation au 3ème thème : Les personnag...