Repas de famille

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Un garçon d'étage venait de prévenir la demoiselle Ophélie qu'elle avait de la visite en bas à la réception. Thorn plissa machinalement sa robe et vérifia son reflet dans le miroir avant de quitter sa chambre avec un air renfrogné. Qui pouvait bien vouloir rencontrer Ophélie ici? Il était méfiant. Il avait déjà croisé Cunegonde portant une valise pleine de sabliers et cette dernière lui avait jeté un regard des plus cinglants. Dans le couloir, il murmura le prénom de Vadislava.
- Je suis là, répondit tout bas une voix féminine à l'accent rude mais sans visage.
- Savez-vous de qui il s'agit?
- Non, voulez-vous que j'aille vérifier?
- Non, restez derrière de moi.

Lorsqu'il descendit les escaliers il fut surpris d'y trouver la haute stature de l'intendant. D'abord de dos celle-ci se retourna et afficha un air étonné et légèrement souriant. Rassuré, Thorn fit un geste à l'invisible de garder une certaine distance.

- Oph... Thorn ! Je... ne m'attendais pas à votre venue.
Thorn était nerveux, il avait rarement vu son propre visage sourire ainsi. Était-elle heureuse de le retrouver? Était-ce pour lui qu'elle était venue ?
- Bonjour Mademoiselle, fit Ophélie de sa voix caverneuse. Encore un peu et je ne m'aurais... je ne VOUS aurais pas reconnue! Taquina-t-elle.
Thorn se figea. Ophélie était en train de l'observer de haut en bas. En avait-il fait de trop ? Lui avait-il manqué de respect?
- Est-ce un reproche? Demanda-t-il.
- Nullement! Dit sincèrement Ophélie.

De fait, Thorn avait une démarche bien élégante et mettait toujours beaucoup de soin pour s'apprêter le matin. Ce jour-là il avait opté pour une nouvelle robe qu'Ophélie devina agréable à porter. Le tissu était souple, les manches longues étaient ajustées à la bonne taille, le décolleté était élégant sans être pigeonnant, la taille fine était marquée. Il portait des bas de laine assortis, des gants immaculés et autour du cou trônait sa montre en or. Ophélie remarqua également sa coiffure impeccable, les cheveux soigneusement peignés tombant délicatement en arrière alors que quelques mèches de devant étaient adroitement relevées à l'aide de peignes en ivoire. Ophélie était impressionnée de se voir ainsi. Elle n'aurait jamais imaginé, qu'avec quelques ajustements, elle puisse être si... jolie. Thorn avait fait des prouesses et s'en sortait visiblement très bien avec ce corps d'emprunt.

Thorn était un peu dans la même expectative en profitant de ces quelques instants où Ophélie semblait perdue dans ses pensées pour la regarder, pour se regarder.
Elle avait troqué les uniformes strictes et ajustés d'intendant pour une tenue beaucoup plus décontractée. Elle portait un long pull à col roulé chaud et confortable, un pantalon simple uni et des souliers de ville, la main dans la poche dans une posture relax. Sa barbe n'était pas fraîchement rasée et Thorn, qui se rappela l'avoir déjà vue lors de ses visites nocturnes avec un sparadrap à la mâchoire, se dit qu'elle devait probablement faire main basse de temps à autre sur la corvée entretien de sa pilosité. Si lui n'aurais pas aimé se monter les joues si peu nettes, il devait avouer que cette nouvelle apparence n'était pas complètement désagréable à regarder.
Il garda pour lui ses réflexion et se racla la gorge.

- Vous vouliez me voir?
- Oui en effet, j'ai quelques nouvelles à vous communiquer. Dit-elle.
- Vous pouviez m'envoyer un message plutôt que de faire une si longue route.
- Oh mais j'avais aussi envie de revoir ma famille...
Voilà la vraie raison de sa visite, se dit Thorn en lui-même, un peu déçu. Mais après tout quoi de plus normal. C'est elle qui devrait séjourner ici normalement et lui...
- Cela se passe-t-il bien avec eux?
- Je fais de mon mieux.

Un silence un peu pesant s'immisça entre eux. Ophélie fit un geste afin qu'ils s'écartent tous deux du bureau de la réception et trouvent un endroit plus discret pour discuter.
- Une deuxième personne est portée disparue à la Citacielle, il s'agit de...
- Ophélie, Ophélie ! S'écria une voix en pleine mue d'un jeune homme derrière eux.
Ophélie avait les yeux ronds devant cette joyeuse apparition et déjà réprimait un large sourire.
Son jeune frère, qu'est-ce qu'il avait grandi! Elle remarquait qu'il rattrapait à présent la taille de sa grande sœur. Thorn, lui, fronçait les sourcils à cause de cette brusque interruption.
- Hector! Vous nous interrompez, s'écria-t-il avec sa voix fluette.
Puis il regarda le visage de sa fiancée, enfin le sien, il y devinait la joie contenue qu'elle avait de retrouver son cher frère.
- Saluez d'abord Mr Thorn, avant de nous expliquer ce qui nous vaut ce vacarme.
- Mr Thorn. Fit Hector en tendant une main molle.
Ophélie s'amusa à lui serrer la main, émue de ces retrouvailles pour le moins originales.
- Regarde ce que j'ai trouvé, s'écria-t-il à l'attention de celui qu'il prenait pour sa sœur, un prospectus à la main. Il va y avoir un cirque pas très loin d'ici! Ça te dirait d'y aller tous les deux?
- Voyons, Hector... commença Thorn fâché.
- Je pense que cela pourrait être une excellente idée, fit Ophélie sans prendre en compte la réaction de Thorn. Votre sœur m'a parlé du cirque qu'elle avait été voir étant jeune et elle avait beaucoup apprécié.
Hector commençait à afficher un large sourire pleine de dents blanches parfaitement alignées à cet homme, que son nouvel ami Renard avait pourtant dépeint comme acariâtre et asocial. Ophélie continua:
- Je suis certain que votre sœur serait enchantée de vous y emmener et je vous accompagnerai volontiers! Nous pourrions y aller... cet après-midi après le repas?
- Le repas? Vous restez donc manger avec nous? Demanda le jeune homme réjoui par cette bonne nouvelle.
- Evidemment!

Il régna une ambiance particulièrement tendue lors du repas familial qui suivit. Ophélie avait bien remarqué qu'un différent opposait sa mère avec Berenilde et bien vite elle comprit que la robe de mariée en était la cause. Elle s'amusa intérieurement lorsque sa sœur Agathe, voulant calmer la tension, lui précisa que c'était la fiancée qui avait fini par choisir elle-même ce qu'elle porterait.

Ensuite, les reproches fusèrent à son encontre, pour son absence et le peu d'intérêt que les futurs mariés portaient sur leur propre mariage. Thorn, qui avait été entraîné par les petites sœurs a s'assoir aux côtés de son fiancé, se tenait droit et n'osait diriger son regard vers sa voisine.

Berenilde jetait des regards soupçonneux vers son neveu, son comportement aimable envers sa future belle famille était des plus inhabituelle. Le père de la petite liseuse complimentait son futur gendre pour les efforts qu'il déployait pour apprendre les expressions animistes et la qualité de son accent. Embarrassée, Ophélie s'expliqua en prétextant que c'était sa fiancée qui lui avait bien appris. Sur ce, c'est Roseline qui se mit à se poser des questions. Quand est-ce qu'Ophélie avait bien pu lui apprendre cela alors qu'il ne daignait même pas leur rendre visite ?

Les futurs mariés arrivèrent tant bien que mal à refuser les propositions d'orchestre, de spectacle ou de repas gargantuesque.
- Nous souhaitons un mariage simple et il n'y aura pas d'autres invités que ceux présents ici à cette table. Trancha Thorn, les poings serrés d'agacement. Ophélie acquiesça.

Devant la morosité de la mère de la future mariée qui avait rêvé pour sa fille d'un mariage sur son arche natale, Thorn voulut obtempérer:
- Le mariage est dans quatre jours. Après celui-ci, lorsque nous aurons réglé un petit « détail », je vous promets que je vous rendrai visite à Anima aussi longtemps et si souvent que l'envie me prendra.
- Doucement jeune fille, interrompit la femme à la girouette qui s'était tue jusqu'à présent. N'oubliez pas que c'est à votre mari d'en décider. Vous n'oseriez tout de même pas lui désobéir et manquer à vos devoirs? Berenilde acquiesça.
Après quelques secondes d'hésitation Ophélie se leva. Elle était stupéfaite de la déclaration que venait de faire Thorn devant ses propres parents. Il l'a laisserait partir après le mariage? Elle toussota et prit une voix qu'elle voulut calme.
- Je suis parfaitement d'accord avec ce que vient de dire... ma fiancée. Si elle souhaite se rendre sur Anima après la cérémonie, je n'y vois aucune objection. Seulement, d'ici le mariage, je vous prierais de bien vouloir ne pas vous immiscer dans nos affaires. Elle termina ses paroles en fixant la girouette dans les yeux.
Un silence se fit autour de la table. Tous la regardèrent, surpris.

La Passe Miroir Challenge A Fanarts Promise 1.0Où les histoires vivent. Découvrez maintenant