Chapitre 1 : La rencontre

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La cloche sonne 17h45. Dans un quart d'heure, elle viendra. Je me cacherai alors derrière ce vieil arbre, puis elle me "fixera", et s'en ira. Comme toujours. Je ferme les yeux un moment. J'en ai plus qu'assez d'être toujours assis adossé à cette tombe morne et grise. Mais si je sors, je ne sais pas ce que je ferais. Alors je reste là à attendre qu'elle arrive. Je soupire et pose une main sur mon coeur... Qui ne bat toujours pas. Je pince les lèvres. C'est terminé.

" Pourquoi tu m'espionnes ?!"

J'ouvre les yeux d'un coup pour découvrir la fille. Elle. Devant moi, les poings serrés. Je ne l'ai jamais observé de si près. Je suis invisible à ses yeux, autant en profiter... Son écharpe recouvre la moitié de son visage. Ses sourcils sont froncés et ses yeux bleus me transpercent. Son souffle crée des nuages blancs autour de sa tête. Je reste assis à la contempler. Ses joues sont rougies par le froid. Je ne peux distinguer ni ses cheveux (je sais qu'ils sont châtains clair) ni tout son visage.

"Hein ?!"

Elle insiste. Je commence à me sentir mal à l'aise. Est-elle folle ? Elle parle... Toute seule ? Je me retourne pour voir à qui elle s'adresse mais ne voit personne, seulement le spectacle du cimetière mort et vide. Soudain un frisson me parcourt. Elle est toujours là, attendant une réponse, furieuse. Ce pourrait il qu'elle s'adresse à...

"Moi ?"

Ce mot m'a arraché la gorge. Cela fait six moi que je n'ai pas prononcé un mot. Je pointe un index tremblant sur mon torse. Elle soupire bruyamment, exaspérée, puis tape du pied.

"Bien sûr, toi ! Qui d'autre ? Tu es bien le seul à m'espionner tous les jours depuis des mois derrière ce gros arbre ! -elle désigne le chêne d'un coup de tête - Que me veux-tu à la fin ?! Tu pensais que je ne t'avais pas vu ?! Espèce de sale pervers ! Et te voilà assis sur la tombe d'un pauvre décédé ! Aucun respect pour les morts !!"

Choqué, je me laisse tomber sur la tombe. Elle me parle à moi ?!

"Tu veux dire... Tu m'entends ? Et... Et tu me vois aussi ?!"

Elle me regarde comme si j'étais fou.

"Je vais appeler la police !"

Elle se détourne et part d'un pas décidé. Je me lève et crie.

" Non, attends ! Comment tu t'appelles ? Tu es en avance par rapport aux autres jours.."

Elle s'arrête net.

"Parce qu'en plus tu sais exactement à quelle heure j'arrive et je pars ?! -elle se retourne d'un coup- Mais t'es un grand malade ! Les flics ! Je vais appeler les flics !"

Je n'en crois pas mes yeux. Cette fille... Peut me voir. M'entendre. Stupéfait, je passe une main dans mes cheveux. Pour la première fois depuis des lustres, j'adresse la parole à un être humain. Je la rejoins en courant et l'attrape par le bras. Je peux même la toucher !! Elle se dégage brutalement.

"Lâche moi, bordel ! Qui es-tu pour me toucher de cette manière ?!"

J'en oublie presque qu'elle gueule contre moi depuis environ deux minutes. Je parle. À une personne. Qui m'entend !! Elle est surement un fantôme elle aussi.

"Depuis quand es-tu morte ?
- Pardon ?!
- Eh bien, depuis quand es-tu un fantôme, quoi !"

Elle me regarde comme si je délirais, pour la seconde fois.

"Je ne suis pas morte !!"

Je la regarde sans comprendre. D'un geste rapide, je pose ma main sur sa poitrine à l'emplacement de son coeur. Je le sens battre. Alors elle est vivante ?

La gifle est partie sans que je m'en rende compte. Je pose lentement ma main sur ma joue endolorie. Si je n'ai pas la trace de sa main plaquée en rouge sur le visage, je suis chanceux.

" Ne me touche pas, espèce de sale pervers ! Non mais je rêve ! C'est de l'agression sexuelle, ça, tu sais ?! -j'ignore sa remarque et oublie la gifle aussi vite qu'elle me l'a donnée.-

- Je m'appelle Thomas. -je lui tends ma main droite- Et toi, qui es-tu ?"

Elle me regarde les yeux écarquillés.

"T'es franchement dingue", crache-t-elle.

"Pourquoi es-tu en avance ? -elle me fixe un moment.-

- J'ai quelque chose à faire vers 18h, l'heure habituelle. Alors comme je préfère me rendre tous les jours sur la tombe de... Mon.. Ami, je suis passée plus tôt . Et puis pourquoi je te raconte ça d'abord ?!"

Amusé, je ricane.

"Ton ami", je répète.

Son regard lointain reste figé un moment sur la tombe, puis se remplissent encore de haine et reviennent se braquer sur moi. Je continue avant qu'elle ne recommence à aboyer contre moi.

"Je ne suis pas ton ami, à ce que je sache ! Pourquoi te rends-tu tous les jours sur ma tombe ? -elle rit-
- TA tombe ?! Tu es complètement barge !"

Je suis sérieux maintenant.
Et elle semble le remarquer car elle arrête de rire aussitôt. Je lui tends ma main une seconde fois.

" Je m'appelle Thomas. Thomas Brodie Sangster. 24 ans. Je suis né le 16 Mai 1990 et mort le 26 Mars 2014, tué par un cancer des poumons. Un sale truc, ce machin là... Mais je suis bien là. En tant que fantôme néanmoins. Et depuis six mois, je n'ai parlé à personne pour la bonne raison que personne ne me voit ou m'entend. Personne à part toi, il semble. Ce qui me trouble sûrement autant que toi, mais étant donné que je vais devoir passer la fin de mes jours -enfin, plutôt, une grande partie de mes jours - à ne pouvoir communiquer qu'avec toi, je pense que ce serait vachement con qu'on ne s'entende pas. Alors je propose qu'on oublie les cinq dernières minutes, et qu'on devienne amis. Ça te dit ?"

Au début, elle n'a aucune réaction. Je continue pourtant à lui tendre la main, attendant qu'elle la serre, en vain. Puis, d'un coup, elle éclate d'un rire incessant. Un rire nerveux. Je la regarde sans comprendre, toujours attendant une réponse. Elle se plie en deux, les mains sur le ventre. Elle s'arrête pour reprendre sa respiration, puis, c'est reparti. Ça ressemble légèrement à une crise de panique... Une trentaine de secondes plus tard, elle finit enfin par se calmer. Soudain, la colère revient occuper ses iris couleur océan et elle me pointe du doigt.

"T... T-Tu... TU ES COMPLÈTEMENT TARÉ !!"

Puis elle s'enfuit en courant entre les tombes et les fleurs. Elle ne tarde pas à disparaître derrière les arbres.

Je ne sais pourquoi, je suis déçu. Déçu et blessé.

C'est génial. La seule personne à qui je peux parler me prend pour un malade. Pour le première fois depuis longtemps, j'ai l'impression de sentir mon "cœur" se briser. Un petit peu.

C'est là que cela a commencé. C'est arrivé d'un coup, comme un coup de poing dans ma poitrine. Sous le choc, je suis tombé à terre. La douleur était insoutenable. Je ne pouvais dire ce que c'était. Dans tous les cas, c'était insupportable.

Je rampe jusqu'à ma tombe et m'allonge devant. Demain, ça ira mieux... Demain...


Let Them Cry [FICTION NON TERMINÉE ET À NE PAS COMMENCER]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant