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Le bar de Milford n'avait pas désempli. La même chaleur moite du début de soirée régnait dans la pièce, mêlée à une impitoyable odeur d'alcool et de vomi. Un épais nuage de fumée flottait dans l'air. On entendait toujours les rires tonitruants de certains habitués, mais on ne distinguait que des ombres dans ce bar où quelques faibles rayons de lumière jaune filtraient dans l'épaisse fumée de cigarette. Sur la table à laquelle Noah s'était assis, de nombreux verres vides s'étaient accumulés. Les trois frères offraient bière sur bière à leur nouvel ami. A présent, les quatre jeunes hommes s'étaient fondus dans le décor. Ils parlaient forts, ils riaient, et surtout, ils buvaient. L'évidente ivresse de Noah amusait les trois frères qui semblaient habitués à venir enchaîner les verres dans ce bar miteux. Adam tendit une cigarette à Noah. Il l'attrapa, la coinça entre ses deux lèvres et approcha son visage pour qu'Edgar lui allume. Il tira deux grandes bouffées et fut pris d'une longue quinte de toux.

- J'ai jamais fumé, avoua-t-il en posant la cigarette dans le cendrier.

Il marqua une pause et soupira.

- Alors comme ça vous êtes frères ? Dit-il en sirotant la fin de sa bière. Allez, laissez-moi deviner... Je vois clair en vous ! s'exclama-t-il. Je vous ai cerné, dites-moi si je me trompe.

Il regarda tour à tour les trois frères dans les yeux. Il leur lança un sourire avant de briser le silence.

- Adam, le plus calme, le plus serein face à Bob tout à l'heure, je dirais que tu es le grand frère. Ben, continua-t-il en le pointant du doigt, c'est le deuxième, le petit nerveux de la famille, s'esclaffa-t-il. Je suis sûr que c'est toi le bagarreur ! Et puis toi, dit-il en se tournant vers Edgar, le rigolo, celui qui s'en fout de tout car il a deux gentils grands frères pour s'occuper de lui, tu es le troisième.

Adam acquiesça doucement et échangea un regard étonné avec ses frères. Edgar frappa dans ses mains et commença à applaudir.

- Alors là, je suis impressionné, le félicita Edgar. Normalement tout le monde se trompe pour Ben et moi !

- Tu as raison, confirma Adam. J'ai 20 ans, Ben en a 19, et Edgar a seulement 18 ans !

Ben dodelina de la tête, puis il fit la moue.

- Je ne suis ni nerveux, ni bagarreur, dit-il vexé.

Adam, Edgar et Noah se lancèrent un regard interdit, puis explosèrent de rire. Noah frappait la table avec sa paume de main. Ben ne put s'empêcher de sourire. Ils reprirent finalement leur souffle et leur calme. Noah se leva soudainement et pointa du doigt les trois frères.

- Je vous ai cerné ! Triompha-t-il en titubant.

Tout tournait autour de lui. Les trois frères devenaient flous. Il recula et renversa la chaise en se cognant. Adam, se leva pour rasseoir Noah qui commençait à faire de grands gestes avec ses bras pour garder l'équilibre.

- Ça va, ça va, répéta-t-il en écartant Adam avec son bras. Je suis bien, laisse-moi juste le temps de...

Avant de finir sa phrase, Noah se plia en deux et lâcha un flot de vomi aux pieds d'Adam. Edgar ne put s'empêcher de lâcher un éclat de rire. Noah jeta un regard médusé autour de lui, et tituba doucement vers la sortie.

- Je vais... je vais sortir prendre l'air, bredouilla Noah.

Adam fit signe à Ben de l'aider à soutenir Noah jusqu'à la sortie. Ils portèrent donc Noah jusqu'à la porte, pendant que Edgar continuait de rire, assis sur sa chaise. Malgré l'épaisse fumée qui inondait toujours la pièce, et réduisait le champ de vision du barman, celui-ci remarqua la grande flaque de vomi étalée sur le sol.

- Les frères Miller revenez ici ! Aboya-t-il.

Adam aida Noah à s'asseoir sur le perron préservé de la pluie à l'extérieur du bar puis il rentra pour aller voir Bob. Celui-ci jeta une éponge déjà sale à chacun des frères avec un sourire satisfait.

- Tenez, nettoyez moi le vomi de votre nouveau pote, ricana-t-il.

Noah, que l'air frais de Milford Island revigorait, vit apparaitre au loin, dans la nuit sombre, Sophie qui revenait en courant sous la fine bruine. Elle arriva finalement devant la porte sans remarquer que Noah était assis à ses pieds.

- Sophie ! Tu en as mis du temps, marmonna-t-il.

Elle sursauta en découvrant Noah assis par terre.

- Tu n'es pas entré ? s'étonna-t-elle. Mais je t'avais dit de ne pas m'attendre, j'ai été bloqué à la maison par la tempête !

Une terrible odeur de vomi, de cigarette, et de bière parvint à ses narines. A cet instant, Noah roula sur le côté, il se plia à nouveau en deux et vomit sur le sol boueux devant le bar. Il se redressa et fit un sourire coupable à Sophie qui écarquillait les yeux de dégoût.

- Si, si, je t'assure que je suis rentré.

- Non mais je rêve ! s'étrangla-t-elle. Je te laisse deux heures et tu es complètement arraché ! Allez on rentre se coucher, t'es plus en état de faire quoique ce soit ce soir.

Elle l'attrapa par le bras et le releva au prix d'un effort exceptionnel car Noah était vraiment un poids mort. Noah se retourna d'un coup vers la porte mais Sophie n'eut pas de mal à l'en empêcher.

- Attends ! protesta Noah. Je dois dire au revoir à mes nouveaux amis.

Sophie leva les yeux au ciel et le tira par la manche pour le faire revenir.

- Si tu rentres là-dedans tu ressortiras plus, ricana-t-elle, je te connais. Allez, maintenant suis moi, chuchota-t-elle d'une voix douce.

Noah n'opposa pas de résistance. Il se laissa guider dans les chemins étroits et sombres de Milford sous les centaines de gouttes minuscules qui tombaient sur l'île. Le vent était coupé par les habitations que le couple longeait, mais parfois, à un croisement, une forte bourrasque faisait tomber la large capuche de Sophie. Noah quant à lui remarqua que sa capuche ne tombait pas comme celle de sa copine.

- Eh pourquoi ma capuche s'envole pas comme la tienne, s'énerva-t-il d'une voix molle.

Sophie s'arrêta et constata avec dépit que si la capuche de Noah ne s'envolait pas, c'était par ce qu'il n'en avait pas.

- Oh non sérieux c'est pas possible ! bougonna-t-elle. T'as laissé ton manteau là-bas.

Sophie pouvait apercevoir au loin les contours de leur maison se dessiner. Considérant le poids de Noah qu'elle trainait depuis une quinzaine de minutes et la distance qui les séparait du bar, Sophie renonça à faire demi-tour.

- On y retournera demain, dit-elle, si on peut.

Ils arrivèrent enfin sur le pas de leur porte. Sophie sortit les clefs de sa poche et entra dans la maison avec un léger grincement. Noah tomba, comme mort, sur le canapé poussiéreux. Sophie qui avait déposé son manteau dans le salon, retourna dans l'entrée pour fermer la porte à clef mais elle réalisa que l'odeur de vomi suivait Noah.

- On va faire un courant d'air, expliqua-t-elle à Noah qui ronflait déjà.

Sophie marcha jusqu'à la cuisine dans laquelle une porte donnait sur l'arrière de la maison, elle entrouvrit cette porte et revint dans le salon. Noah fut réveillé par une succession de petites claques de Sophie qui le supporta dans la montée de l'escalier qui menait jusqu'à la chambre. Elle lui apporta un verre d'eau et éteignit enfin toutes les lumières. Elle descendit à nouveau les escaliers, verrouilla la porte d'entrée, puis remonta plonger sous sa couette aux côtés de Noah qui dormait paisiblement. Malgré le chauffage de la maison, une légère fraicheur se faisait ressentir jusque dans la chambre. Une sorte de léger vent, très léger. Une petite brise froide venait caresser le visage de Sophie et Noah. Toute la froideur de la nuit venait s'infiltrer dans la maison du jeune couple. Toute la froideur de Milford Island aussi. La porte de la cuisine était restée entrouverte, mais le couple dormait trop profondément pour s'en soucier.

Bienvenue à Milford IslandOù les histoires vivent. Découvrez maintenant