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Seuls les sifflements du vent et le bruissement des feuillages animaient Milford Island en cette tardive heure de la nuit. Non loin du Catopsis, à quelques rues, une grande place pavée menait au commissariat de l'île. Au centre de la place se trouvait une fontaine hors d'usage représentant deux chérubins aux nez et aux doigts de pieds cassés. L'absence d'entretien manifeste avait laissé s'installer une épaisse mousse verte sur les statues en pierre. Le commissariat était étonnamment grand, moderne, et bien entretenu par rapport au reste de la petite ville. Il faisait office de mairie, de cellules, et d'administration en général. La plupart des cellules étaient toujours vides, certaines étaient constamment occupées. Mise à part l'église, ce bâtiment était le plus important de Milford. Du moins, c'était le plus grand. En cette sombre nuit d'automne, alors que tous les habitants de Milford dormaient paisiblement, on pouvait entendre des bribes de conversations perdues dans les couloirs du bâtiment.

- Courage Magwell, résonna la voix nasale du père Scott. Tu fais ça pour une juste cause, ne l'oublie pas. Tout ce que tu fais, Dieu te le rendras au centu...

- Arrête ! Hurla Magwell. Tu sais bien que je ne crois pas à toutes ces conneries. Dieu ne t'as jamais demandé de tuer les Jenkins, tu ferais mieux de lire la bible plutôt que ton foutu livre sacré !

Le prêtre attrapa le cou de Magwell dans un mouvement vif. Ses longs ongles noirs transpercèrent la peau du chérif. Il était nettement plus grand et plus lourd que son assaillant, mais celui-ci serrait fermement sa main, ne laissant aucune échappatoire à Magwell.

- Tu vas trop loin Magwell, gronda-t-il. On a un marché tous les deux, ne l'oublie pas.

Ses petits yeux injectés de sang et ses dents pointues effrayaient le chérif. Son visage prenait une teinte de plus en plus rouge. Le père Scott le lâcha. Après un long silence, il reprit la parole.

- On a besoin d'un sacrifice humain pour la cérémonie, ça a toujours fonctionné comme ça.

Magwell ne prononçait plus un mot. Il réajusta sa chemise sans soutenir le regard du petit prêtre. Il sentit la main du père Scott se poser sur son épaule.

- Tout se passera bien, ne t'inquiètes pas. Tu t'occupes de ton enlèvement, ensuite je m'occupe du mien.

Il marqua une pause et observa longuement Magwell qui restait toujours muet.

- Ce ne sont que de vulgaires touristes enfin ! Tu as connu pire bon sang... De toute façon tu n'as pas le choix, ricana-t-il. C'est à toi de jouer. On se retrouve à l'église dans une heure avec ton colis vivants ! s'exclama-t-il. Sinon ça n'a plus d'intérêt...

Le prêtre et Magwell marchèrent, sans dire un mot, d'un même pas vers la sortie devant laquelle les attendaient deux voitures. Chacun prit le volant de la sienne. Le père Scott alluma ses phares jaunes dans la nuit, il démarra et ne devint plus qu'un point lumineux au loin, puis il disparut. Magwell claqua la porte de sa voiture, coupant tout son extérieur, et se sentit soudain incroyablement seul. Le sifflement du vent ne lui tenait plus compagnie. Le silence lui sembla si pesant qu'il démarra précipitamment la voiture. Ses phares éclairèrent les deux chérubins en pierre de la fontaine. Il sursauta et ne put retenir un petit cri de stupeur à la vue de ces deux petits humains en pierre. Il réalisa rapidement l'immobilité de ces statues et reprit son calme. Magwell posa son chapeau sur le siège passager et prit de grandes inspirations. Sur son front perlaient de grosses gouttes de sueur. Il croisa son propre regard dans le rétroviseur. Le chérif plongea alors sa tête dans ses mains. En cette sombre nuit d'automne, alors que presque tous les habitants de Milford dormaient paisiblement, on n'entendait plus rien. Une pluie bruyante et rassurante s'abattit soudain sur l'île. Sur le parebrise et sur le visage du chérif, de grosses gouttes ruisselaient. Ce n'était pas de la sueur, Magwell avait fondu en larmes.

Bienvenue à Milford IslandOù les histoires vivent. Découvrez maintenant