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Le bruit grinçant des vieux essuie-glaces angoissait Magwell. Après quelques minutes de voiture, il se trouvait face à une grande maison à deux étages mal entretenue. En voyant la cagoule noire posée sur le siège passager, à côté de son stetson, le chérif ne put réprimer un frisson. Les larmes qui avaient coulé dans les creux de son visage étaient sèches à présent. Son regard était dur, froid, impassible. Il ouvrit sa boite à gants et attrapa le taser qu'il y trouva. En tirant le petit objet électrique, il entendit tomber une pochette de plastique dur. Magwell lut à haute voix « Purple rain ». En observant tour à tour la pochette de l'album et la maison délabrée, il décida d'introduire le disque dans le lecteur. Les essuie-glaces étaient arrêtés et les premières notes du premier morceau vibrèrent dans le véhicule. David Bowie chantait, « Let's go crazy ! » ... En entendant ces mots, le chérif fut pris d'un fou rire. Un rire de fou à proprement parler. « C'est un message de Dieu, c'est ça ? » hurla-t-il. « Ah, tu as gagné père Scott. J'y vais ! ». Il enfila alors sa cagoule, garda son taser à la main et sortit de la voiture en claquant la porte. Le disque tournait toujours dans la voiture, phares allumés, prête à démarrer. Eclairé par la lumière vacillante des phares, le chérif avançait en suivant son ombre. Arrivé sur le pas de la porte il remarqua un paillasson délavé intitulé « welcome ». Il n'avait rien d'accueillant. Il resta de longues minutes sur ce paillasson, écoutant les musiques défiler dans l'habitacle de la voiture, et caressant l'arme attachée à sa ceinture. Finalement le chérif tourna la poignée, en vain. Il se frappa le front et entreprit de faire le tour de la maison. A l'arrière de cette maison silencieuse et éteinte, une porte était légèrement, très légèrement entrouverte. Magwell entra. Il traversa la maison à pas de loup et se trouva face à un escalier. Chacun de ses pas soulevait une quantité de poussière exceptionnelle. Un escalier qui menait à une chambre. L'envie d'éternuer le pétrifia. Il se décida finalement à gravir les escaliers. Il montait les marches une par une, lentement. Plus il avançait plus les marches grinçaient. Chaque craquement de parquet lui glaçait le sang. Magwell arriva en face de la chambre à coucher. La porte était à demi fermée. Il pouvait maintenant entendre le couple respirer. Son cœur frappait dans sa poitrine avec une force phénoménale. Il prit une grande inspiration et cogna ses poings l'un contre l'autre. Soudain, d'un grand coup de pied, la porte s'ouvrit dans un fracas assourdissant. Le couple se dressa sur son lit et poussa un hurlement déchirant en voyant cette masse sombre se diriger vers eux.

- Noah ! hurla la jeune femme.

Magwell frappa Noah au visage et le tira hors du lit. Celui-ci se jeta sur le chérif et tenta de lui asséner un coup au ventre, mais d'un vif geste de la main le chérif planta son taser dans les côtes de Noah. Il lâcha un cri sourd et fut secoué de spasmes. Sophie, médusée et immobile dans son lit était muette. Magwell se retourna pour appuyer sur l'interrupteur de la lumière. Contre toute attente, Noah se leva d'un bond, attrapa la lampe de chevet et asséna un violent coup au visage de son agresseur. Magwell tomba au sol, la cagoule déchirée au niveau de la joue. L'obscurité conservait malgré tout son anonymat. Noah profita de la vulnérabilité de son agresseur pour se saisir de l'arme attaché à sa ceinture. Avant qu'il n'ait eu le temps de l'utiliser, Magwell le gifla avec un geste ample qui le projeta au sol. Il se précipita alors à l'autre bout de la chambre et attrapa la chevelure blonde de Sophie. Noah qui pointait son arme sur le chérif était impuissant en voyant sa copine traînée sur le sol par les cheveux.

- Lâche-la ! hurla-t-il.

Le chérif pointa le taser sur Sophie et fit signe à Noah qu'il n'hésiterait pas à l'utiliser. Magwell gardait le silence car il savait que sa voix rauque et atypique pouvait le trahir. Il recula alors doucement jusqu'à la porte de la chambre. La maison était redevenue étrangement silencieuse. Magwell fit signe à Noah de poser son arme sur le lit, ce qu'il fit. Magwell traîna Sophie jusqu'à l'escalier, celle-ci poussa un hurlement.

- Mais bordel, qu'est-ce qui se passe ? s'écria-t-elle.

Le chérif tenait fermement les cheveux de sa victime. Il commença à descendre les escaliers poussiéreux en gardant le taser pointé sur le cou de Sophie. Noah, qui ne tenait plus en place, attrapa l'arme sur le lit et courut vers son agresseur. Il plongea dans l'escalier et percuta le chérif. Le couple et Magwell dévalèrent l'escalier jusqu'en bas. Malgré sa chute, la main du chérif encagoulé tenait toujours fermement les cheveux de Sophie qui avait perdu connaissance. Noah avait reçu un fort choc à la tête, et les excès de la veille ne l'aidaient pas à tenir debout. Il était assis et pointait l'arme sur Magwell. Celui-ci grogna de douleur, se leva et porta Sophie sur son épaule. La porte s'ouvrit et Magwell s'éloigna dans la nuit. Noah titubait, un terrible mal de crâne floutait sa vision. Il avança, chancelant, jusqu'à la porte et mit son agresseur en joug. Sa main tremblait et son champ de vision était trop incertain. Il ne tira pas. Il vit, impuissant, l'inconnu encagoulé déposer le corps de Sophie sur la banquette arrière, s'installer au volant de sa voiture, et démarrer. Et tandis qu'il entendait le véhicule partir au loin, il se rendit compte qu'il était à présent allongé au sol, sur le pas de sa porte. Soudain son mal de crâne insoutenable diminua, et il sentit que toutes ses forces quittaient son corps. Ses paupières tombèrent sur ses yeux, il avait perdu connaissance.

Magwell avait posé sa cagoule ensanglantée sur le siège passager. Il roulait, hébété, essoufflé, sans savoir où aller. Son arcade sourcilière avait explosé. Son regard apeuré dans le rétroviseur trahissait l'état de panique dans lequel il se trouvait. Des gouttes de sang pourpres ruisselaient sur son œil et glissaient jusqu'à son menton avant de tomber sur son siège comme une pluie de lourdes gouttes sombres. Le chérif roulait vite, il ne pensait plus à rien. Ni au corps inanimé à l'arrière de sa voiture, ni au chemin qu'il empruntait, ni même à la dernière musique du disque qui tournait dans l'habitacle. Magwell ne connaissait que Milford, mais cette nuit-là il était perdu. Le sang s'échappait encore à toute vitesse de son sourcil et pendant qu'il accélérait toujours plus sur les routes étroites de Milford, David Bowie chantait : « Purple rain... bathing in the purple rain».

Bienvenue à Milford IslandOù les histoires vivent. Découvrez maintenant