Aux portes de mon enfer, 17h34
- " Keith " ~ commença ma mère, d'une voix hésitante.
Ça commençait déjà plutôt mal...
J'étais peut-être pas tant obligé de l'écouter que ça finalement...J'esquissai un geste pour sortir de la voiture.
J'aimais pas sa voix hésitante. J'aimais pas voir ma mère hésitante tout court.Elle était solide, ma mère. Tellement que c'était rare que je la vois se fissurer.
Elle était plutôt du genre à m'engueuler pour de la merde, à vouloir que je sois le meilleur, en prônant qu'elle n'était pas comme ça à mon âge. Elle était plutôt du genre à marcher sur les pieds des gens et leur demander de s'excuser de s'être mis dans le passage. Elle se laissait pas faire, ma solide mère.Je la voyais encore me répéter "sa" phrase pour la énième fois, en me voyant allongé sur le sol de ma chambre, en proie à une de mes nombreuses phases de déprime :
- " Si tu laisse la vie te tuer, tu ne la tuera pas. Si tu te bats, elle t'aura à l'usure. "
Elle était du style à utiliser ce genre de phrases de film, celles que seul les méchants utilisent : "It's victory or death". Et je pense que le pire, c'est qu'elle y croyait vraiment.Je l'aimais quand même ma mère. Mais elle ne comprenait pas tout ce qui se passait dans ma tête et dans ma vie. Tout ce qui s'agitait là dedans. Elle ne rassurait pas les questions de ma tête, ni les doutes de mon coeur. Mais elle m'encourageait. Et elle était bien la seule.
Décidant que je voulais quand même l'écouter, je suspendis mon geste et restai dans la voiture, assis droit sur mon siège, le regard planté devant moi, fuyant.
Elle ne dit rien pourtant. À croire que c'était encore à moi de faire le premier pas.
Je soufflai et me tournai alors vers elle. Quitte à ne plus la voir pendant un an, autant la voir encore un peu tant que je le pouvais.Elle planta ses yeux dans les miens. Je n'avais jamais remarqué qu'ils étaient si sombres. Ils me semblaient plus joyeux, dans mes souvenirs. Je n'avais jamais remarqué que le temps l'avait tant marqué non plus. Je n'avais jamais remarqué que ces cheveux avaient commencé à blanchir, que ses lèvres avaient commencé à se craqueler, sa peau à se fripper.
Je l'aimais ma mère.
Mais la voir vieillir signifiait aussi que je grandissais.
"Ma solide mère" allait finir par devenir poussière.
Je devrais alors devenir solide à sa place.En y repensant elle finissait souvent sa phrase par :
" La vie te bouffera dans tous les cas. "Elle brisa violemment le silence.
- " Keith...je t'aime. "
Ok.
Aucune émotion dans sa phrase.
Aucune émotion dans sa voix.
Aucune émotion sur son visage.
Aucune émotion dans cette putain de voiture.
Ok.
Je l'aimais ma mère.
Je sortis brusquement de la vieille voiture -qui n'avait visiblement pas assumé tout le chemin parcouru, à l'entente du grondement du moteur- et je refermai la porte en la claquant bien assez fort pour lui signifier ma colère.
J'ouvris le plus violemment le coffre possible, histoire de démontrer que j'étais vraiment TRÈS en colère (au cas où elle l'avait toujours pas comprit) et saisi toujours violemment, brutalement, et sans une once de pitié, le vieux sac qui me servait à transporter la totalité des affaires en ma possession.Si tout rentrait dans ce sac, c'est que j'avais vraiment pas grand chose. Il était troué, avec des taches vertes (je voulais pas savoir d'où elle sortaient) et deux hanses, que j'avais eu tout le temps de déchiqueter pour passer mes nerfs dessus, servaient à le soulever.
Vraiment moche quoi.
J'eu un instant d'hésitation en voyant ma guitare électrique au fond du coffre.
Mais je la retirai quand même, l'empoignant délicatement. Ouais, traitement de faveur.Toujours avec mon énervement, et le plus rapidement possible, je poussais de tout mon poids (franchement pas très conséquent) le lourd portail de fer.
Je m'arrêtai après quelques pas.
L'internat se dressait face à moi.
C'était un grand manoir de pierres noircies par le temps. Un grand parc semblait s'étaler en contrebas. Le bâtiment me surplombait de sa hauteur. Il semblait me prévenir que ma solitude ne prendrait jamais fin ici.
Je perdis soudain toute confiance.J'aurais eu besoin qu'elle soit là. J'aurais juste voulu qu'elle me prenne la main tout en m'entraînant vers le manoir. Elle aurait même pu murmurer un : " Tout ira bien ". Ça m'aurait très certainement énervé, je me serais sûrement dit que je n'avais pas besoin d'elle. Mais on se rend souvent compte d'à quel point on aime quelque chose, quand on le perd.
Je resserrais la bandoulière de mon sac tout moche, dans ma main.
Je fus saisi par le doute.
Je savais que j'allais regretter de ne pas m'être retourné.
Je voulais savoir comment elle avait réagi.
Je voulais savoir ce qu'elle pensait.
Ce qu'elle en pensait.
J'avais besoin de voir, de sentir, qu'elle m'aimait véritablement.Je le savais pourtant. Je savais qu'elle m'aimait. Je savais qu'elle m'avait consacré les dernières années de sa vie, sans rien attendre en retour, sans rien demander.
Et j'étais même pas foutu de la remercier.
Mais je savais aussi qu'elle se protégeait, ma mère.
Visiblement même de moi.
Je savais qu'elle n'attendait rien.
Peut-être mon bonheur, en y repensant.Je me retournai finalement.
À mes risques et périls !
J'ai toujours cru que c'était à ce moment-là, où dans les films, le héros se retourne, en haut d'une colline, avec le vent dans le dos, pour saluer une dernière fois ses parents qui ont la larme à l'oeil.Mais je n'étais définitivement pas dans un film. Il n'y avait pas de colline, ni de vent dans mon dos pour me rendre badass. Et j'ajouterais qu'accessoirement, je n'avais pas de parents aimant qui m'attendaient.
Déjà, mon père s'était barré.
Sans avoir tromper ma mère, sans nous avoir rien laisser d'autre qu'un sac de vêtements, sans nous avoir ruiner, ... enfin rien qui ce passait dans les films où le perso inintéressant va finir par devenir incroyable, une fois sa "backstory" révélée.
Non, moi mon père il avait juste divorcé. D'un commun accord avec ma mère. Alors pourquoi je ne le voyais plus ? Ça c'est à ma mère qu'il fallait demander. Celle qui, d'ailleurs, venait de se barrer avec sa vieille voiture.
Elle ne m'avait même pas attendu.
Je regardai la voiture s'éloigner.
Je n'aurais pas dû me retourner.
" Make no apologies "
Je ne me cherchais pas d'excuse. Je ne lui en cherchais pas non plus. Et comme elle l'aurait dit :
" It's death or victory "
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#1126 mots
Na Na Na ( Na Na Na Na Na Na Na Na Na ) ~ My Chemical Romance
12/2019
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These days [ Klance ]
Fanfiction[ Klance ] Keith c'est le mec "différent" qu'on connait tous. Celui qui marche seul, écouteurs enfoncés dans les oreilles, inlassablement. Celui qui s'énerve seul, chaque soir et chaque matin, écoutant sans cesse les mêmes refrains entraînant. Ce...