Chapitre 2

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Ce n'est pas parce que je n'agis pas comme vous le souhaitez que j'agis mal. Merde. Foutez-moi la paix. Puisque tout le monde parle sur tout le monde, je vous offre ce cadeau, vous aurez de quoi critiquer pendant de longues années, à moins que vous ne soyez trop vexer pour en parler, trop fiers et que cela vous fasse enfin fermer vos grandes et expansives bouches. Certains diront que c'est facile de faire un courrier, qu'il vaut mieux dire en face les choses. Je le comprends. Mais vous m'avez déjà tous assez fait perdre de temps, pour que je prenne encore de mon si précieux temps, pour vous, pour en plus ne pas pouvoir terminer ce que j'ai à vous dire. Les mots écrits, je l'espère, résonneront mieux et laisseront, je l'espère encore, une trace dans vos cerveaux.

Je me fiche de ce que chacun fera de la lettre, brûlez-la après l'avoir lu, je m'en balance, pour être polie. Pourquoi je me donne tout ce mal ? Pour me faire du bien une bonne fois pour toute. Ce n'est pas pour vous faire du mal, c'est pour que vous preniez conscience de votre égoïsme, de votre fierté mal placée, de vos jugements sévères et sans fondements. Ce qui suit est mon avis, ma vérité, mais si je ne dis rien, je vais choper tous les cancers du monde à cause du stress que vous m'infligez. Oui c'est un acte égoïste, oui c'est un acte révolutionnaire dans « votre monde ». Oui, je vous aime (enfin pas tous), assez pour m'éloigner de vous, et remettre de la distance avant que tout ne devienne que haine, honte, et mal de ventre. Puisque je te vois derrière ton rideau, tu seras la première Fabienne...

Emma sortit un petit paquet de feuilles blanches format A4 du tiroir de l'imprimante. Sous le bureau, elle trouva une chemise en carton verte dans laquelle elle rangerait ensuite toutes les lettres qu'elle comptait écrire. Elle les enverrait au bon moment, ou pas...peut-être un jour. Le sujet Fabienne l'inspirait particulièrement. Une étincelle animait son esprit et sa main ; les mots, les phrases apparaissaient sans efforts sur le papier blanc.

Ma chère Fabienne,

Voilà maintenant douze ans que nous sommes voisines. Quand j'ai acheté cette petite maison en face du petit pont, tu es la première personne à m'avoir salué, à m'avoir proposé ton l'aide au besoin. J'aurais du me douter qu'il y avait anguille sous roche. Je t'ai trouvé tellement jolie la première fois que je t'ai vu, tu te souviens ? Je sais que oui, comme tu notes tout, absolument tout ce que tu vis. Tu portais un chemisier blanc à rayures bleues très claires, un pantalon à pinces bleu marine avec une petite ceinture en cuir rouge. Tu avais autour de ton cou, un voilage bleu foncé en accord total avec celui de tes yeux. Et ce qui m'a subjugué, c'est ton chignon banane figé sur la tête duquel s'échappaient quelques mèches légèrement blanches. Une grande beauté, vraiment. N'importe qui aurait été en confiance devant quelqu'un d'aussi élégant, raffiné, et avenant.

Ce jour là, je t'ai proposé de boire un café et tu m'as dit « je suis plutôt thé mais avec plaisir ! ». Là, là! j'aurais du le sentir, comment tu emmènes les gens à t'accorder ce que tu désires. Si j'avais eu du thé, je t'aurais proposé « un café ou autre chose ? », mais là je savais que je n'avais pas autre chose que du café étant donné que j'étais arrivée trois jours auparavant et que je n'avais pas eu le temps d'aller faire les courses. Et puisque j'aborde là ce sujet, il faut que je te dise, je ne comprends pas pourquoi tu ne bois que du thé, c'est fade, insipide, c'est moche en plus la couleur du thé et y'a toujours des machins qui flottent. Tu m'as même convaincu d'acheter une boule à thé et je n'arrive toujours pas à doser dans ce truc, et puis j'en ai qu'une, alors quand deux ou trois personnes veulent du thé et que je n'ai qu'une boule à thé parce qu'évidemment « le thé en sachet c'est terne, ça n'a pas le même goût ! », et bien tout le monde doit attendre trois à quatre minutes avant d'avoir du thé dans sa tasse. Alors excuse moi, je n'ai pas été élevée en Angleterre, je ne sais pas faire le thé et je te le dis, je trouve ça dégueulasse. Un café, tu mets tout le pot si tu veux dans ton filtre et on boit à quinze avec, et en plus t'es en forme pour ta journée. Alors toi et tes copines à thé, je vous le dis, des fois je suis thé parce que je suis sociable, des fois je suis cappuccino, en hiver je suis chocolat chaud mais la plupart du temps je suis café avec un sucre s'il vous plait, et une touche de lait. Je m'emporte certes, mais Fabienne, crois moi, c'est quand même vexant quand tu viens chez moi avec ta belle sœur pour un petit moment convivial et que tu arrives toujours avec ta théière, j'ai bien compris que je m'y prenais mal avec le thé et avec toi visiblement. Quand je t'ai proposé qu'il serait plus simple de venir boire le thé chez toi plutôt que de traverser la rue avec ton plateau en inox, j'ai pris la vérité en pleine face. Une grande claque, qui d'un coup vous laisse la bouche agonisante et vous fend le cœur en même temps. La réponse à cette simple proposition a provoqué une vague d'émotions à la fois triste et colérique. « Si on va chez moi, on ne verra pas Thierry et Nadia. On voit bien depuis chez toi ! On en sait un peu plus ! c'est croustillant. » Et moi, j'ai été assez stupide pour vous laisser continuer à les espionner.

Emma AsgoredOù les histoires vivent. Découvrez maintenant