Chapitre 9

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 Le vent tournait en sa faveur. La nouvelle de sa démission était plutôt bien passée auprès de l'équipe, elle avait reçu l'accusé de réception du siège donc là-haut aussi ils étaient au courant. La perspective d'une nouvelle maison la réjouissait de plus en plus, et elle était impatiente de revoir Philippe et pas que pour des raisons immobilières. Fabienne lui fichait la paix et elle écrivait de plus en plus. Dès que quelque chose la tourmentait, elle se mettait frénétiquement à écrire. A des gens qu'elle croisait : « toi l'abruti qui bloque l'accès à la crèche avec ta BM ... », « Chère Maman de Roseline, merci d'aller vous faire foutre. Si vous n'êtes pas satisfaite de l'accueil de votre fille, faites la garder ailleurs, ou gardez-là vous-même ! », « Cher Papy, cela fait 5 ans que tu es parti rejoindre le ciel, tu me manques toujours terriblement, toi et tes blagues à deux balles. Merci de venir me voir la nuit, je n'ai plus peur, je sais que tu seras toujours près de moi. » Autant de mots, autant de lettres qu'elle n'enverrait pas mais qui lui faisaient du bien. Soit cela lui allégeait les épaules, soit lui libérait le cœur, soit lui redonnait du souffle...accepter que tout ne puisse être dit et entendu est difficile. Elle avait lu quelque part que tout ce qui ne s'exprime pas s'imprime sur le corps et l'âme. Longtemps, adolescente, elle avait cru que ce moyen d'expression serait la danse. C'était sa passion, puis les maux de son corps avaient eu raison de sa passion. Ce déclic qui avait lancé cet enchaînement d'événements l'emportait plus qu'elle ne l'aurait cru. Il fallait que cela continue. Et si elle envoyait au moins une lettre, celle pour Alice, ou pour sa directrice Madame Brunel...qu'est ce que ça ferait ? Après tout, elle ne se risquait pas à grand-chose. Elle subirait la colère d'Alice, ça durera dix minutes en face à face, elle boudera dans son coin quelques mois et au final elle continuera sa vie d'égoïste comme d'habitude. Quant à Madame Brunel, la lettre est quand même bien salée... et il ne lui restait plus que deux semaines à travailler...il fallait la jouer subtile, ne pas se faire licencier avant, ou bien  alors fallait-il attendre.

Le mardi suivant, Emma arriva au travail trente minutes en avance. Désormais, elle venait sans traîner les pieds, elle savait qu'elle n'en n'avait plus pour longtemps. Eglantine lui fit part de son angoisse. A sa place, elle serait paniquée de se retrouver au chômage sans projet professionnel en vue...ce à quoi quelques collègues acquiescèrent. Emma avait senti tous ces regards pesants et interrogateur...était-elle devenue folle ? Voilà, ça lui reprenait, Eglantine avait émis un avis à l'encontre de ce que pensait Emma, et ça la faisait paniquer. Mais quoi bordel ? Laissez-moi essayer au moins, pourquoi êtes-vous si pessimiste... je vis MA vie. Si je dois tomber je tomberai, si je trouve mon chemin je vous le ferais savoir...Pourquoi les gens autour d'elle avaient cette fâcheuse tendance de lui dire quoi faire, de lui dire comment faire, de lui dire ce qui était bien ou mal pour elle. N'avaient-ils pas d'autres soucis ? C'est comme cette fois, où Stéphane lui avait dit de voter pour tel homme politique lors des législatives alors qu'elle, évidemment elle votait à gauche...bref, elle avait cédé...était-elle encore cette femme ? Cette femme qu'elle n'aimait pas être, cette femme silencieuse, tellement discrète, tellement sage et d'accord avec tout le monde, tellement crédule, tellement gentille...tellement conne ? Elle se refusait aujourd'hui d'être cette femme. Cependant, elle se refusait également d'en être totalement le contraire. Elle était discrète et était persuadée que c'était une qualité. Alors oui, elle continuerait à l'être mais saurait se montrer pour ne pas se faire oublier, pour que sa voix soit entendue. Sage, oui elle l'est et le restera mais plus pour faire plaisir aux autres et convenir à la société. Elle est sage car elle sait prendre des décisions elle-même avec intelligence et lucidité. D'accord avec tout le monde faisait partie de son passé, elle y mettrait les formes bien-sûr, mais aujourd'hui elle savait que ne pas être d'accord avec quelqu'un sur certains points ne  veut pas dire que la relation est rompue. Elle serait désormais plus méfiante, avec tout le monde, son cœur était griffé de dizaine et de dizaine de petites trahisons qui l'avaient affaiblies au fur et à mesure. Non elle n'était pas conne, elle avait enfin le courage de s'assumer telle qu'elle est et de s'aimer telle qu'elle est.

Emma AsgoredOù les histoires vivent. Découvrez maintenant