Chapitre 6

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Chère Alice, ma petite sœur chérie

Je ne sais pas quand je te verrais et puisque tu ne réponds pas à mes appels, je t'écris un courrier, à l'ancienne. Peut-être que tu le liras, peut-être pas, voyant que ça vient de moi et que tout ce qui vient de moi est forcément ringard, nul, ou risible. Sache que je t'aime et c'est parce que je m'aime aussi que je dois te dire certaines choses. Fais en ce que tu veux.

La dernière fois qu'on s'est vu, tu ne m'as même pas regardé... c'était la fois où j'étais passée chez les parents après l'enterrement de Marcelle la voisine. Tu n'étais pas venue d'ailleurs puisque la veille tu étais encore au Main Square. Alors qu'on était réunis à table, tu as fait une apparition, certes rapide mais remarquée. Tu as fait la bise aux parents, et Clémence, Fabrice et moi avons eu le droit à un geste de la main. Il était passé midi, tu avais tes lunettes de soleil sur le nez, tes longs cheveux emmêlés tel un gros beignet au sommet de ta tête, un t-shirt du Main Square, un short en jean, des baskets d'un blanc immaculé et tous tes bracelets aux poignets qui signalaient toujours ta présence où que tu te trouves. Il faut que je te dise, que malgré l'allure désinvolte que tu voulais te donner, tu étais toujours belle. Tu as une grâce naturelle, tu pourrais porter un sac poubelle que tu serais canon quand même. Si moi j'osais ton look, j'aurais l'air de rien... donc ce jour là, tu as fouillé le frigo, rempli ton sac Eastpack et tu es partie en disant juste à maman que tu lui enverrais un sms. Papa a juste dit « au moins on l'aura vu aujourd'hui ! ». Personne n'a rien dit, personne n'a osé relever. Personne n'a osé dire que tu vivais comme une vagabonde, que tu profitais des parents, que tu prenais la maison pour un hôtel restaurant, et qu'ils étaient à la fois ta banque et ton assurance. Personne n'a osé dire aux parents que c'était injuste que tu aies tous ces bénéfices alors que Clémence et moi on a trimé. On a commencé les jobs d'été à seize ans, on s'est payé par nos propres moyens nos permis de conduire, nos voitures...notre premier logement. Et toi, tu fais une crise et hop tu obtiens tout. Mais pour qui est-ce que tu te prends pour prendre la vie des parents en otage comme ça ? pour qui est-ce que tu te prends pour te permettre de nous critiquer Clémence et moi ? je ne vais pas parler à la place de Clémence, puisque vous vous fritez assez souvent toutes les deux. D'ailleurs, jamais tu ne lui dis en face ce que tu me dis à moi sur elle. Ah ça, tu sais juger les autres toi qui te dit sincère, franche... Commence par l'être avec toi-même.Et crois en mon expérience, que ce soit avec les amis ou au travail, quand une personne s'amène en disant « de toute façon, moi je suis franche, je dis les choses en face, patati patata... » tu peux être certaine que ce sont les premiers hypocrites. Parce qu'avant d'avoir les couilles de dire quoique ce soit aux personnes concernées, elles vont aller faire le tour des avis des autres, « et toi t'en penses quoi de...tu ne trouves pas que... », et peut-être qu'elles iront voir cette personne, mais ce sera du tout mielleux. Alors, voilà pourquoi je ne suis pas le genre de personne à dire ce genre de choses, je suis hypocrite et je l'assume. J'ai le droit de penser dans ma tête des choses pas cool sur les gens, mais je n'ai en aucun cas le droit de les blesser...alors s'il te plait exerce ta franchise sur Clémence et pas sur moi. Parce que ta franchise avec moi est au top niveau. Top niveau de la méchanceté. Faut-il que je te rappelle les événements qui m'ont blessés ?

1. Le jour des essayages de la robe de mariée de Clémence. On devait choisir nos robes de demoiselle d'honneur. Au fait,as-tu remboursé les parents pour ta robe cocktail ?...ta petite mine de petite fille triste quand tu as dit aux parents que celle qui te plaisait n'était pas dans ton budget c'était bien joué...sauf que pour moi non plus elle ne rentrait pas dans mon budget, et que moi j'ai du la payer, parce que moi, j'avais un salaire...à vingt trois ans, j'avais un salaire, wow...c'est à des millions de kilomètres de ce qu'est ta vie non ? à cet âge là, tu venais d'obtenir ton CAPES et tu n'avais pas la moindre intention de travailler. Enfin bref, je t'ai laissé choisir nos robes c'est vrai. Elles étaient sublimes, surtout sur toi. Et tu t'es permis devant les vendeuses, de reprendre ma robe au niveau du ventre et de dire à la couturière qu'il fallait la desserrer parce que les reliefs de mon ventre faisaient moches... Je suis devenue rouge écarlate, je me suis sentie grosse, moche... et tu as reculé face au grand miroir tout en enroulant tes cheveux avec un stylo et tu as dit qu'en revanche la tienne devait être resserrée ici et là...tu as dit tout ça sans me regarder. Comme si je n'étais qu'une chose à ajuster. Maman qui avait vu toute la scène, m'a caressé le bras d'un air compatissant...Voilà encore une fois, on était compatissant avec les victimes mais on ne disait jamais rien à la personne qui faisait du mal. Je suis aussitôt retournée dans la cabine d'essayage et je vous ai attendu pendant à l'exterieur de la boutique. Personne ne le sait, j'ai pleuré toute seule sur un banc du centre ville. J'ai pleuré de colère, de tristesse, de honte...de colère contre toi et tes mots, contre maman qui ne te dit rien, je me sentais victime d'une injustice. De tristesse de ne pas être soutenue à ce moment là, de tristesse de ne pas oser déranger la journée de Clémence en pointant du doigt ton attitude. De honte sur mon corps, que je n'arrivais pas à modeler comme il se devait à l'époque et de honte ensuite de pleurer comme une conne sur un banc public parce que ma petite sœur était méchante avec moi...Donc non, je ne pleurais pas d'émotion quand vous êtes sorties de la boutique.

Emma AsgoredOù les histoires vivent. Découvrez maintenant