Chapitre 3

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Ça devrait suffire, pensa Emma. Elle se sentait satisfaite. Elle relut la lettre, une fois, pas plus, car elle risquait de le regretter ou de modifier des passages par peur de paraître trop incisive. Fallait-il envoyer la lettre tout de suite ou attendre de laisser reposer tout ça ?...

Le besoin de bouger se faisait sentir. Ecrire cette lettre avait fait remonter toutes sortes d'émotions. Même si elle se sentait soulagée, il fallait quelque chose pour clore cette séance. Jardiner. Emma enfila son poncho gris et sa paire de baskets et sortit dans le jardin. Le potager était rempli de mauvaises herbes, il est vrai que dernièrement, elle n'arrivait pas à s'occuper d'elle, ni de sa maison, alors le potager... Les pieds de tomates étaient penchés et certaines feuilles semblaient avoir attrapées le mildiou. Les œillets d'Inde ne donnaient rien non plus, il y avait quelques petits radis qu'Emma cueillit sur le champ. En contemplant son potager, elle se fit la réflexion que cette terre avait peut-être accueilli trop de cadavres de chats et qu'elle était dorénavant infertile, tout comme son propre corps, sauf qu'elle n'y avait jamais abrité de cadavres de chat...et si la terre peut être infertile, son corps aussi, mais si par endroits la terre produit de beaux légumes peut-être qu'ailleurs, avec une nouvelle personne, sous un autre ciel elle pourrait elle aussi produire un beau bébé...Mais pour avoir un bébé encore faut-il avoir quelqu'un avec qui le faire...Au moins un mec bien pour le fabriquer, pour le reste, l'éducation, l'amour, Emma se sentait capable de tout assumer toute seule. Ses pensées recommençaient à lui donner le tournis. Elle prit des gants et un sécateur dans l'atelier au bout du jardin et se mit à tout arracher. Ça ne sert à rien de s'acharner, de donner à cette terre de bonnes choses puisqu'elle n'en fait rien, je la laisse respirer, je laisse tomber...Quatre heures plus tard, le carré potager avait disparu du jardin. Emma avait ramassé les planches et les avaient adossées contre le mur de l'atelier. Parfaites pour retaper l'atelier se dit-elle. Ragnar fit une apparition, il se frotta félinement contre les jambes de sa maîtresse. Il se laissa même caresser. Il s'éloigna et commença à gratter la terre retournée... en voilà un qui sait se saisir des opportunités que lui offre la nature... Il était maintenant quatorze heures. Emma n'avait pas mangé et n'était pas douchée non plus. Elle se souvint que le lendemain elle devait aller travailler...cela lui coupa l'appétit. Elle n'en n'avait plus envie...ce métier qu'elle avait choisi, pour lequel elle s'était passionnée devenait anxiogène. Elle n'arrivait plus à l'exercer avec le même enthousiasme qu'il y a sept ans. On lui en demandait toujours plus, et toujours de façon différente. Tout ce qui avait constitué son identité d'éducatrice de jeunes enfants s'effaçaient devant les conditions de travail qui se détérioraient toujours à cause du nerf de la guerre: l'argent, l'argent, l'argent....les départs en retraite n'étaient pas remplacés, les arrêts maladies non plus, les agents se retrouvaient à faire du gardiennage ...Elle n'avait pas envie de faire le trajet jusqu'au travail non plus. Passer devant chez Stéphane tous les jours était un supplice mais c'était le trajet le plus rapide et il était désormais hors de question de gaspiller de son temps personnel pour son travail, trajet y compris. Saisie de panique, elle fila sous la douche, laissant ses vêtements en boule au milieu de la salle de bains. L'eau frappant le haut de son crâne la détendait, le parfum de son gel douche à la vanille la réconfortait. La mousse blanche glissait le long de son bras, remontait vers son cou...elle prit une profonde inspiration qui fit trembler son thorax et expira sa tristesse avec ses larmes...ressaisis toi, ressaisis toi...cette petite voix dans sa tête ne voulait pas qu'elle s'écroule. Trouve une solution, tu as la solution... Emma ouvrit les yeux, fixa son flou reflet dans la porte vitrée et eut un flash : démissionner. Oui je vais démissionner...j'ai de l'argent de côté et je pourrais mettre en place un nouveau projet... des projets, Emma en avait, un projet professionnel sérieux et pérenne pas vraiment. Elle se sentait soudainement capable de prendre les rênes de sa vie, de sortir des sentiers sur lesquels elle avait été dirigée. Ce poste d'éduc, elle n'en voulait pas à la base en plus. Elle voulait travailler auprès d'enfants en situation de handicap, pas en crèche. Mais Stéphane l'avait convaincue de prendre ce poste à dix minutes de la maison, que ce serait plus confortable, qu'ils seraient plus souvent ensemble à la maison, quand ils auront un enfant...résultat de ce choix : en effet, elle rentrait plus tôt, mais pas lui, en effet c'était confortable mais profiter d'une maison à la campagne seule dans un village qu'on ne connait pas, clairement, ça fout la déprime. Alors oui, elle aurait du prendre ce poste dans cet institut à quarante-cinq minutes de chez eux, ils auraient peut-être eu le même rythme de vie, les mêmes envies...Quoique cela n'aurait pas empêché Stéphane de se retaper son ex...De toute façon, côté carrière, c'est plié aussi. Il faut se refaire, comme au poker. Par où commencer ?..

Emma AsgoredOù les histoires vivent. Découvrez maintenant