Emma se réveilla en pensant qu'il était au moins six heures et demi du matin. Raté, il était à peine trois heures. Elle le savait, quand elle se réveillait à cette heure là, impossible de bien se rendormir. Même si on était dimanche, c'était une nuit de perdue, une journée de gâchée. Pas un bruit dehors, elle était seule dans cette chambre à attendre le sommeil. Elle commença à se tourner et se retourner dans son lit...elle repensait à la soirée, au travail, à ses sœurs, à ses lettres, à ce Philippe. Etait-elle vraiment prête à changer de vie ? Ne devrait-elle pas y aller chapitre par chapitre ? Elle avait le mal de mer dans son lit, son ventre se nouait, son cœur recommençait à palpiter. Elle ressentit à nouveau ce tiraillement qui part du cœur jusque dans le bout des ongles, elle se sentait sur le point d'exploser. Emma sortit du lit, ouvrit grand la fenêtre de sa chambre pour respirer l'air de la nuit à plein poumon. La demi-lune était juste à sa gauche, un fin voile nuageux l'empêchait d'avoir sa forme de croissant. Il y avait peu d'étoiles dans le ciel ce qui la déçut, puis son regard accrocha une étoile plus brillante. Elle pensa alors que fixer ce point lumineux, l'apaiserait. Elle ferma les yeux et respira lentement...en ouvrant les yeux, l'étoile avait bougé. Ce n'était pas une étoile, mais un satellite. Merde, même le ciel est artificiel...à quoi vais-je m'accrocher ?...elle referma la fenêtre et se mit à pleurer, des grosses larmes chaudes, des sanglots incessants qui la firent tressaillir mais qui eurent raison de son insomnie.
Le lendemain matin ressemblait à un matin de cuite. Pourtant Emma n'avait pas eu le temps de s'enivrer... Tout lui semblait lourd, ses jambes d'abord, son dos, ses bras...sa tête... Aujourd'hui allait être une journée de merde, son corps avait le don de la prévenir, et à chaque fois elle le laissait prendre le dessus. Elle ne se battait plus ni pour lui, ni contre lui...Fais ce que tu veux de moi, je m'en fous...Même aller chercher son portable oublié à l'étage était un effort trop important, si important qu'elle n'alla pas le chercher. Elle n'avait envie de rien, toutes les pistes qu'elle explorait pour son changement de vie lui paraissaient vaines et stupides. Elle sortit de la pochette les lettres déjà écrites et soupira...
A quoi bon ? Je n'aurais jamais l'audace de les envoyer, ni de les relire d'ailleurs...j'ai même pas de plan B pour du travail, je ne suis même pas sûre de pouvoir investir dans un nouveau bien immobilier...je suis une looseuse baby, why don't you kill me...Il faut que j'accepte ma vie telle qu'elle est...que j'y trouve du plaisir...
A cette pensée, Emma s'effondra sur son bureau. Non elle ne le pouvait plus, elle ne pouvait plus accepter cette vie qui ne lui correspondait plus. Ses jambes ne la portaient plus, son dos était surchargé de problèmes ne lui appartenant pas, ses bras ne voulaient plus répéter tous ces gestes robotisés et sa tête était sur le point d'exploser si elle continuait à résister.
Pourtant ma vie n'est pas si mauvaise...je n'ai pas le droit de me plaindre, je possède déjà beaucoup et beaucoup pourrait m'envier...Mais ce n'est pas ta vie, mais ce n'est pas ta vie, lui chantait une petite voix...
Elle avait pourtant pris soin de la construire cette vie, en écoutant son cœur, les conseils de ses parents, les conseils de son ex Stéphane...ah Stéphane, elle ne savait même pas ce qu'il devenait. Soudain, Emma pris conscience qu'elle retombait dans ses travers de torture mentale... Elle prit les lettres, les déplia avec soin, et se relut...c'est ça !! là dans ses mots couchés sur ces papiers, c'était elle. Elle était fière de ce qu'elle avait pu sortir, elle retrouvait de la vigueur, et une envie, celle d'écrire à nouveau. Elle inspira profondément, renoua sa robe de chambre fermement, se redressa sur sa chaise, attacha ses cheveux en une queue de cheval et se mit à écrire à celui qui lui avait imposé un modèle de vie qui ne lui correspondait pas...où que tu sois, mon cher petit Stéphane, tu vas prendre cher...
Cher Stéphane,
Je ne sais pas où tu es, ce que tu fais, ni avec qui tu es. Peut-être as-tu réalisé ton rêve de devenir directeur artistique pour je ne sais plus quelle boîte sur Paris. Toujours est-il qu'aujourd'hui j'ai décidé de tourner la page et de laisser s'envoler ce passé partagé avec toi. Je ne suis qu'aujourd'hui un vague souvenir pour toi.
J'ai su par Clément, il y a maintenant deux ans, que tu étais sur le point de te marier. Ça m'a fait un choc c'est vrai. Loin d'être le genre d'électrochoc qui nous fait nous relever, celui là m'a englouti. J'ai eu la sensation que le sol se dérobait sous mes pieds et que je tombais dans les abîmes, que mon cœur se déchiquetait, se dépeçait... je ne savais pas que tu aurais pu me briser le cœur encore une fois. Puis le temps s'est chargé de panser les plaies, aidé de mes amis, de ma famille...Comme toi, je me suis plongée dans le travail. Mais ça ne dure qu'un temps. Maintenant entendre ton prénom ne me fait plus rien, je ne ressens plus ce frisson... celui qui me traversait quand je te voyais, quand tu me parlais. Il était si doux celui-là. Puis il y a eu l'autre, ce frisson d'effroi, après notre séparation, je ne pouvais plus entendre ton prénom...Aujourd'hui je suis devenue hermétique, je pourrais le crier cent fois, l'écrire sur des milliers de pages. Je ne ressens plus rien ! Stéphane, Stéphane, Stéphane, Stéphane... juste l'association de deux syllabes qui ne veulent plus rien dire pour moi. Je ne dis pas ça pour te blesser, mais juste pour te montrer que je suis capable de me libérer. Je suis capable de faire des choses et d'évoluer sans toi. Je peux diriger ma vie, je n'ai besoin de personne, certainement pas d'un mec, que son prénom contienne une, deux ou vingt-huit syllabes.
Personne, n'a le droit de te dire ce que tu dois faire de ta vie. Je prends des conseils auprès de personnes sélectionnées avec soin, mais j'agis à ma façon. J'ai du me reconstruire avec notre rupture, ou plutôt ton départ, parce qu'au final, t'as déserté sans un mot... Il y a même un mot qui existe aujourd'hui pour ça : le ghosting...et un Ghost c'est tout à fait ce que tu es pour moi aujourd'hui. J'ai compris que devenir la femme de quelqu'un n'était pas de se fondre en l'autre, de devenir le parfait clone de l'autre. J'ai compris que l'épanouissement d'une femme ne passait pas que par la maternité. Qu'être une femme n'obligeait pas à savoir cuisiner, à tenir une maison parfaitement, à être une amante parfaite etc... C'est subtil tout ça, beaucoup trop subtil pour toi. Toi, toi, toi et ton petit ego...il te fallait une femme qui te valorise tout le temps et ça c'est un job à plein temps. J'espère que la personne avec qui tu es aujourd'hui s'en accommode très bien...
Soit dit en passant, je ne suis pas stérile, je pense que nos deux corps n'étaient pas compatibles, tout comme nos âmes au final. J'étais prête à te pardonner tes infidélités. Je sais qu'il n'y en pas eu qu'une. Maria, Elsa, Vanessa...et moi Emma, t'as un truc avec les prénoms en A non ? enfin bref. Aujourd'hui, je ne t'en veux plus, je ne suis plus triste. Tu pourrais frapper à ma porte sous la pluie en t-shirt mouillé, les gouttes ruisselantes sur ton visage, en me demandant de te laisser une énième chance que je te dirai NON, NON et NON. A la rigueur, je te donnerai une serviette pour te sécher avant de te laisser repartir...et encore.
Sur ces mots qui peut-être ne t'atteindront jamais ou survoleront au dessus de ta tête, je te laisse à ta vie bien construite et planifiée jusqu'à ta mort...quelle tristesse.
A un de ces quatre
Emma ASGORED
Si seulement elle pouvait lui lire cette lettre, lui envoyer... Emma rangea la pochette verte sous son bureau. Elle en ferait quelque chose de ces lettres mais pas maintenant. La seule lettre envoyée était sa lettre de démission, sans la petite lettre de lynchage bien sûr...elle eut un gros doute une fraction de seconde, et se mit à fouiller frénétiquement dans la pochette pour savoir si elle avait envoyé le bon courrier. Ouf, la lettre de lynchage de la direction était là... cette peur lui fit prendre alors conscience qu'elle n'était pas prête à envoyer ces lettres. Au final, ça foutrait encore plus le bordel, autant partir digne de la boîte non ?...je ne sais pas quoi faire, je ne sais plus, allez hop à la douche on verra ça plus tard...

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Emma Asgored
NouvellesEmma, la trentaine passée, étouffe. Différents maux la rongent. Petit à petit, elle va en comprendre l'origine, et (re)construire sa vie, comme elle le décide. Comment dire merde à tout quand on est bien élevée, polie et respectueuse? Comment avance...