Chapitre 1

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Une fois arrivée tout en bas des longs escaliers en bois vernis de sa maison, Juliette se dirigea vers la cuisine. Ses parents étaient déjà installés autour de la table ronde. Son père, corpulent, feuilletait le journal du jour. Sa mère, coiffée d'un chignon haut, sirotait un café tout chaud.

Bonjour, comment allez-vous ? demanda la jeune femme.

-        Oh je vais bien, ma chérie. Mais tu te lèves un brin tard, répondit son père, sans lâcher son journal de vue.

-        Juliette, pour l'amour du ciel, combien de fois t'ai-je répété de ne plus porter ce pyjama ? Il est bien trop gris, trop vieux et trop ample, renchérit sa mère.

-        Maman, je le revêts seulement lorsque je dors...

-        Assez ! Ne parle pas comme cela à ta mère. Maintenant, soit gentille et prépare-moi un croissant, ajouta son paternel. »

Juliette obéit, enfouissant sa hargne. La jeune adulte au pyjama gris s'empara de deux pâtisseries qui reposaient sur le comptoir de marbre. Elle en servit une à son père et attaqua le second. À son tour, elle tira sur une chaise et s'y installa, l'air grognon. Elle détestait la façon dont ses parents la traitaient. Son comportement devait toujours être distingué et gracieux. De plus, elle devait se vêtir de façon très féminine. Sa mère n'appréciait pas le vêtement de nuit trop terne et trop grand de sa fille. Ce n'était pas normal du tout !  Tous les autres parents du monde préfèreraient que leur fille s'habille plus sobrement, plutôt que de porter des tenues trop éclatantes... Plus personne n'était obligé de se vêtir aussi strictement, en 2009. Personne, sauf Juliette, apparemment.

Afin de remédier à la situation, Juliette tentait parfois de discuter avec eux, sans succès. Ils ne voulaient rien entendre. Son père et sa mère avaient tant chéri l'idée d'avoir leur propre fille. Sa mère avait fait une quantité incroyable de fausses couches avant que Juliette Dumas ne voie le jour. Cette dernière comprenait cela, mais elle aurait voulu pouvoir s'assumer comme elle était. N'était-ce pas le rôle des parents ? Aimer leur enfant tel qu'il soit ? La jeune adulte, mastiquant bruyamment son croissant, dû interrompre ses pensées. Sa mère lui parlait.

Ma chérie, ne mange pas si vite. Tu vas t'étouffer, et puis, ce n'est pas très poli... »

C'en était trop. La femme, âgée de 19 ans, se leva brusquement et lança :

« Ça y est, je ne peux plus manger un croissant comme je le veux, maintenant ? Je... J'en ai plus qu'assez. Je voulais simplement prendre le petit-déjeuner avec vous, mais il s'avère que c'est impossible. Vous me corrigez toutes les deux minutes ! »

Sans crier gare, Juliette quitta la pièce tel un coup de vent. Elle n'éclatait pas à tous les jours, mais cela lui arrivait de temps à autre. Sur le coup, c'était grandement libérateur, mais elle se sentait toujours passablement embarrassée par la suite. Elle savait pertinemment que ses géniteurs allaient la sermonner le soir même.

Mais, avant cela, elle devait se préparer pour le lycée. Le simple fait de penser à cet endroit lui donnait la nausée. L'étudiante avala une grande bouffée d'air et se prépara rapidement à partir. Non sans rechigner, elle enfila une tenue ajustée dotée de motifs pastel. Une fois sa longue crinière rousse démêlée, elle prit son chaud manteau qu'elle plaça sur ses épaules, ainsi que son lourd sac. Sans grande surprise, elle était en retard. La lycéenne dévala les escaliers et s'enfuit par la porte, sans un regard pour ses parents toujours attablés. Ceux-ci la pensaient trop jeune pour acquérir une automobile. Elle dû donc appeler un taxi. Par chance, celui-ci se présenta au bout de trois minutes. Elle se faufila à l'intérieur de la berline et indiqua sa destination au chauffeur. Ce moment l'angoissait toujours. Enfin, pas mal de choses l'angoissaient.

Effectivement, Juliette n'aimait point discuter avec des gens trop longtemps. Elle avait toujours l'impression que ceux-ci allaient être mesquin avec elle. Ce n'était pas toujours le cas, fort heureusement. Comme avec le chauffeur de ce petit taxi. Il s'appelait Max.

« J'ai toujours rêvé d'être conducteur de taxi. Ce n'est pas très commun, comme métier de rêve, mais ça me rend unique, pas vrai ? »

La jeune femme approuva d'un signe de tête. Le trajet en voiture fut agrémenté des récits de Max, au plaisir de la femme timide. Une fois à destination, cette dernière salua l'employé, pris ses effets personnels et descendis de l'automobile. Une fraction de secondes plus tard et le chauffeur était disparu, parti à la rencontre d'autres clients. C'est alors que la demoiselle se retourna pour faire face à un grand bâtiment en pierres ternes. C'était un immeuble rectangulaire, grand et ancien. Ses fenêtres étaient crasseuses et ses portes largement abîmées par le temps. La lycéenne passa sa main froide sur sa nuque, serra ses dents et s'aventura à l'intérieur de la bâtisse qu'elle redoutait tant.

Quand mes démons auront des ailesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant