Chapitre 2

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Après avoir rangé ses affaires dans son casier gris, l'étudiante se dépêcha d'aller en classe. Elle allait assister à un cours de philosophie de deux heures. Une fois assise à son pupitre, elle n'osa pas vraiment regarder les élèves installés près d'elle. Cependant, elle entendit de légers ricanements. Elle savait pertinemment que ces individus se moquaient d'elle. Sa solitude était la cause de tout cet engouement.

De fait, son cercle d'amis était inexistant. Bon, elle en avait eu quelques-uns au primaire, mais sans plus. Elle s'était toujours demandé ce que ça ferait, d'avoir un meilleur ami. Quelqu'un qui la comprenait réellement, la rassurait, la faisait se sentir bien. Elle pourrait certainement développer des amitiés, mais elle était beaucoup trop anxieuse et vulnérable pour cela. De plus, Juliette ne répondait jamais aux remarques qu'on prononçait à son égard. Enfin, elle n'osait plus le faire. Il y a deux ans de cela, celle-ci a répondu à un de ces garnement. Résultat : un lourd dénigrement de cinq minutes. Les cinq plus longues minutes de sa vie, sans aucun doute. Elle s'était sentie mal, honteuse, sale. Tout ce qu'elle désirait, c'était la paix. Elle s'en voulut tellement d'avoir répliqué à cette petite peste. Cet événement avait considérablement baissé son estime de soi.

Tout à coup, Monsieur Dubé, le professeur, la rappela à l'ordre. Apparemment, Juliette avait l'air de somnoler, bien qu'elle fût seulement en grande réflexion. Le commentaire de son enseignant lui valut d'autres pouffements de rire de la part de ses collègues de classe. Enfin, la jeune femme osa un furtif regard vers le petit groupe.  Elle ne connaissait pas chacun d'eux, mais elle reconnût Maxence Dupré, Thadée Lamy et Léopold Pichon. Les trois garçons étaient très populaires à l'école, voilà pourquoi elle connaissait leur identité. Donc, tout ce qu'ils approuvaient ou tout ce qu'ils méprisaient était suivi par les autres étudiants de l'établissement. Sans surprise, Juliette détestait ces jeunes hommes ingrats. Toutefois, cette dernière ne le laissa point paraître et tenta d'écouter le professeur, malgré les remarques désobligeantes de la petite bande.

Dès que la cloche fut sonnée, l'étudiante sortit rapidement de la classe. Bientôt, elle traversait les longs et froids corridors de l'édifice. Elle se déplaçait dans un recoin encore plus sombre et défraîchi lorsqu'elle fut agrippée brutalement par le cou. Son agresseur la poussa violemment sur le mur de pierres. Juliette émit un cri strident, rapidement étouffé par la main de l'anonyme sur sa bouche.

« Nous ne voulons plus de toi ici, Juliette Dumas, lança sèchement la voix masculine. »

La concernée, bouillante de rage et de peur, observa son féroce interlocuteur. Il s'agissait d'un des trois garçons assis près d'elle lors de sa classe de philosophie. Thadée Lamy.

Lai... Laisse-moi seule. » 

Juliette parvint à prononcer ces quelques mots avec difficulté. Lamy tenait fermement son mince cou, l'empêchant de respirer normalement.

« Ne t'inquiète pas, susurra son interlocuteur, je vais te relâcher. Je voulais simplement m'assurer que tu saches bien à quel point tu enlaidis les murs de cette école. Tu n'as pas d'amis, Dumas, tu n'as rien, tu n'es rien. Je déteste te voir marcher dans cet édifice. Ici, tout le monde appartient à un groupe, tout le monde est sensé. Sauf toi. Si tu voulais te la couler douce, seule, dans un petit lycée tranquille, tu te trompais. Nous sommes plus âgés, maintenant, alors fait quelque chose de ta médiocre vie, merde ! »

Tout à coup, il relâcha sa proie et s'éloigna, grommelant quelques insultes. Juliette était choquée. Ce court instant l'avait ébranlée, si bien qu'elle en tremblotait. C'était fou, elle avait dix-neuf ans et n'était pas encore sortie de cette galère. Apparemment, en 2009, on se devait d'avoir l'air parfait. C'était à cause de la société. Toujours la société... L'étudiante avait horreur de cette pensée. Celle-ci souffla longuement, sa tête bourdonnante. Elle balaya rapidement le couloir des yeux et se rua vers la sortie, commandant un autre taxi pour rentrer chez elle.

Le lit blanc de la lycéenne la réconfortait. C'est pourquoi elle s'y assit dès qu'elle arriva chez elle. Soudain, son altercation avec Lamy lui revint en tête

« Il veut que je fasse quelque chose de ma vie, hein ? Il verra bien. »

Elle s'étira afin d'atteindre le tiroir de son bureau, y sortit une paire de ciseaux et regarda ce dernier un instant.

« C'est maintenant ou jamais. »

Elle porta l'instrument à sa tête et, dans un souffle, coupa une très longue mèche de cheveux. Le cœur de la jeune adulte s'arrêta un instant. Ça y était, elle ne pouvait plus revenir en arrière. Dans un élan d'excitation, sans penser au futur, l'élève stylisa sa tignasse rousse. Après une demi-heure de travail, elle était satisfaite du résultat. Ses cheveux étaient très courts. Pour la première fois depuis des années, elle appréciait l'image que son miroir lui offrait. Son désir de devenir un homme cheminait.

Quand mes démons auront des ailesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant