Psaume 10.

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La mort est irrémédiable. Inévitable. Mais elle met fin à tout. Après elle plus rien. Un grand vide silencieux. J'ai longtemps voulu cette mort. Je l'ai attendue. Je l'ai supplié. Je l'ai espérée ce néant réconfortant, sans peur et sans regret.

Massés sur le trottoir, entouré d'un vent purement glacial, je regarde la mort. J'ignore qui a crié mais tout le monde s'est réveillé. Tout le monde s'est pressé sur le pas de la porte, à moitié dévêtu. On déborde désormais sur la route tous ensemble à regarder le spectacle morbide devant nous.

Les morts ne sont pas des choses si courantes ici, et on ne les voit pas. Mais ce soir, quelqu'un a choisi la mort. Quelqu'un a sauté. Les immeubles désaffectés bordent les rues, personne ne surveille qui y monte. On y prête attention que lorsque la personne s'écrase quelques étages plus bas.

Je ne vois qu'un sac noir que deux hommes en uniformes referment bien proprement. Le bruit de la fermeture semble résonner trop fort pour moi. On les regarde emmener le sac dans leur fourgon, les gyrophares qui balayent les façades délabrées. Entre nous, tout le monde se compte, lance des regards dans les foules qui se mélangent dans la panique. Laureline se presse contre moi, refuse de lâcher ma main. Je ne dis rien. Au milieu du vacarme étrange autour de nous, je sais qu'elle pleure. Je la sens trembler, sa main moite. Je sens les soubresauts de son corps. Les gardes du corps de la maison refusent de nous laisser approcher la route. Ils nous entourent, nous comptent eux aussi. Ils vérifient que ce n'est pas la marchandise d'ici qui s'est foutue en l'air.

Aux alentours, tout le monde surveille. Tout le monde cherche à savoir ce qu'il s'est passé. Tout le monde surveille la police, suit des yeux chacun de leurs gestes. Mais ils ne nous approchent pas. Ils font leur travail sans nous adresser le moindre regard, sans chercher à voir. Les flics savent bien ce que l'on fait ici. Ils savent ce qu'il se passe. Elle ne nous approche pas, on ne l'approche pas. J'en ai déjà croisé de près, des hommes en uniforme. Rasés de près, encore en uniforme quand ils faisaient claquer leur ceinture en cuir. Mais même s'ils savent ce qu'il se passe ici, et de près, ils savent aussi que c'est un trop gros morceau. Depuis trop longtemps, ce quartier est pourri jusqu'à la moelle par trop d'affaires sanglantes.

Allongé dans mon lit, je pleure. Les yeux ouverts sur le plafond. Les lumières des gyrophares se sont éteintes, l'agitation dehors s'est tue. Je pleure sur mon sort. Le cœur lourd, le ventre contracté, mes jambes tremblent sous les draps. Je suis en manque. Une partie de mon corps ne répond plus, j'ai l'impression de perdre pied. C'est l'obscurité qui remonte mes veines et engourdit mon esprit. J'ai peur. J'ai peur de disparaitre, comme cet inconnu. J'ai peur de mourir sans n'avoir rien fait que de me laisser dépérir ici. J'ai peur que le manque ne finisse par m'emporter, moi, mon corps et ma raison. Je pleure sans plus pouvoir m'arrêter, sans plus de raison. J'ai peur ce soir de m'endormir et de ne plus jamais rouvrir les yeux. De ne plus voir un matin se lever et de m'avoir mon dernier espoir rendre son dernier souffle. Alors dans les ténèbres, je m'accroche. Je me rattrape. Je me rattrape à deux bras qui m'enserrent dans ma solitude et me tende vers la lumière. C'est drôle que la lumière vienne de l'Enfer. Mais je ne veux pas mourir. Je ne veux pas que mon histoire raconte celle de ma misérable et lamentable mort. Je veux vivre. 

L'évangile selon Kurt. [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant