Psaume 16.

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Partie 1/2 publiée aujourd'hui. La suite arrive ce soir. 


Ce matin-là il fait beau. Laureline pose un café devant moi. Il est à peine dix heures m'apprend-t-elle. Je penche ma tête en arrière. A l'arrière de la maison il y a un minuscule morceau de béton mousseux que nous appelons « terrasse ». Avant le jardin était un vaste carré d'herbe qui devait être verte. Maintenant il est coupé par un terrain vague dont nous sommes séparés par un simple grillage rouillé.

« Est-ce qu'il t'a fait mal ? »

Il fait un peu froid mais le ciel est incroyablement bleu. De ce bleu cobalt que l'on ne peut s'empêcher d'admirer et d'imaginer l'immensité. Laureline a enfilé son manteau. Karl et moi sommes en tee-shirt. Je crois que celui que l'on m'a enfilé n'est pas le mien, il est trop grand et je n'en reconnais pas l'odeur.

Elle boit un café dans la même tasse orange qui est posée devant moi. Je ne bois pas. Lui fume sa clope.

« Il ne me touche pas Lau. Et le peu qu'il fait est génial, je murmure. »

La joue de Karl tressaille, il inspire une longue bouffée.

« Au prix qu'il te paye, je te toucherais moi. Pas qu'un peu. »

Laureline et moi nous tournons vers lui d'un même mouvement qui fait craquer ma nuque. Elle frappe son bras dénudé.

« Hé ! s'insurge-t-elle.

- Comment ça « au prix qu'il me paye » ? je m'intéresse sans faire attention à elle. »

Il se rapproche de moi, faisant râcler sa chaise sur le sol. Il souffle sa fumée sur le côté, sa bouche tordue.

« Je tiens les comptes de Rustï. Depuis que le Diable se paye tes « services », j'ai constaté des putains de rentrées d'argent.

- Combien ? je souffle.

- En tout ou par nuit ?

- Par nuit. En tout. Les deux.

- Pourquoi ne pas lui demander à lui ? »

Je me renfrogne. Il écrase sa clope sur le plateau de la petite table en métal entre nous. Il la jette par-dessus le grillage.

« Il ne veut pas me le dire, je grommelle. J'ai déjà essayé.

- Alors est-ce que je moi j'ai le droit de le dire ? s'amuse-t-il.

- Karl putain ! je m'agace.

- En gros... Deux mille huit cents euros la nuit. »

Ma bouche s'ouvre d'elle-même. Laureline recrache son café qui lui coule le long du menton.

« A l'heure actuelle, il a déjà payé plus de dix mille euros pour toi. »

Je m'agrippe de toutes mes forces au plateau de la table, pour ne pas tomber, m'écrouler. Je voudrais rire mais ça ne vient pas. Je reste à fixer Karl. Laureline elle me fixe moi comme si j'avais fait quelque chose d'incroyable. Une passe régulière à la maison est aux alentours de cent cinquante euros. Je sais que les miennes valent un peu plus cher. Mais pas ce prix-là.

« Mais vous faites quoi ?! s'exclame-t-elle. Pour ce prix-là même moi je te baise.

- On parle, je réponds calmement. Je vais juste chez lui, il me pose des questions sur moi, il s'intéresse à qui je suis, à mon passé. Mais il refuse de me toucher. J'essaye pourtant. »

Ca fait sourire Karl, Laureline s'ahurit un peu plus. Je baisse les yeux devant son regard outré, je me sens jugé et je n'aime pas ça. Comme si je n'étais bon qu'à vendre mon cul et qu'il soit inconcevable que l'on veuille de moi pour autre chose. Je sais que ce n'est pas ce qu'elle pense mais c'est ce qu'elle me fait comprendre en me dévisageant ainsi.

« Mais qu'est-ce qu'il veut ? reprend-t-elle en quête de réponse à ses trop nombreuses questions.

- Régler sa dette, répond Karl. »

Il y a un moment de flottement, de silence qui tombe sur le jardin. Tous les deux nous fixons le grand brun qui soutient mon regard.

« Pourquoi ? reprend-t-elle.

- Les lois sont claires ici. Nous sommes des salopards, c'est pour ça que les lois sont là, pour ne pas en laisser un être plus salaud que les autres. Le respect du code est strict. Tu peux appliquer une dette à ta marchandise à condition qu'elle soit recevable. Tu ne peux pas facturer n'importe quoi. Actuellement Kurt doit rembourser le logement, la nourriture, les vêtements, les soins, la drogue et la protection qui lui a été donnée. En tout, vingt-sept mille quatre-vingt-treize euros. Chaque jour qu'il passe ici, la dette augmente même s'il ne profite pas de ses avantages. C'est un tarif fixe.

- Comment tu peux en être sûr ? Que c'est ça qu'il veut ? »

J'assiste à cette conversation qui me concerne sans y participer, je suis spectateur du début devant moi. J'écoute ces chiffres astronomiques qui me représentent sans leur donner de sens.

« Rustï lui a fait signer un contrat avant d'accepter de céder Kurt. Pour être sûr qu'il ne revienne pas sur le prix. Il n'a même pas cherché à négocier. Il a pris le prix tel qu'il était. Il ne l'a pas dit clairement mais...

- Tu l'as rencontré ? je murmure.

- Oh oui. Cette façon qu'il avait de nous regarder ; cette haine dans ses yeux. Je ne me suis jamais senti aussi mal, autant en danger et pas à ma place. Rustï non plus n'a pas bougé, et l'autre n'a même pas eu besoin de parler. Jamais vu un moment aussi étrange. On est arrivé, il a signé, on est reparti.

- Mais pourquoi il a fait ça ? Qu'est-ce qu'il veut faire après ? »

Laureline s'adresse à comme s'il semblait évident que j'ai la réponse, que nous en avions discuté. Je hausse les épaules. Je n'ai pas une seule réponse aux questions que l'on se pose sur moi.

« Sais pas. »

Karl lui hoche la tête. Il me fixe, indifférent à Laureline qui vient lui prendre la main. Il cherche mon regard et attend que lui donne l'attention nécessaire pour se pencher par-dessus la table. Il sent le tabac et la menthe poivrée. Il n'est pas rasé, sa barbe dessine une ombre sur ses mâchoires.

« Je ne sais pas ce qu'il attend, ce qu'il compte faire « après », mais lors de cette rencontre j'ai compris deux choses ; qu'il n'en resterait pas là, parce qu'il crève d'amour pour toi. »

Lau rit, pensant sans doute à une plaisanterie. Le diable amoureux. Mais Karl est bien sérieux, soutenant mon regard lui-même partagé en me révélant cette information. Il y a comme de l'inquiétude dans ses yeux et en même temps une sorte d'admiration.

« Pourquoi tu dis ça ? je demande.

- Tu sais Kurt, parfois il n'y a pas besoin de mot. Regarde, toi non plus tu ne dis rien et pourtant, je le vois. C'est écœurant comme tu dégoulines de sentiments pour lui. »

L'évangile selon Kurt. [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant