Verset 2

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Dans le hall d'entrée, il y a une Vierge Marie.

Au fil du temps, elle en a vu passer mais elle reste intacte. Il y a une sorte d'étrange respect, même chez les proxénètes et les putains pour la Vierge. Comme un clin d'œil à ce que nous, nous ne sommes pas. Comme une mauvaise blague.

Je passe devant la Vierge Marie sans plus la voir. Avant, elle me faisait peur, me jugeant. Maintenant j'ai bien compris que son Jésus, elle ne l'a pas eu par l'opération du Saint-Esprit.


Je toque à la porte ouverte de Rustï. Son bureau est une petite pièce discrète au fond du couloir du rez-de-chaussée où les prostituées se rendent rarement. Le bureau c'est l'administratif, donc ses travailleurs, non ses marchandises. Il ne lève pas les yeux, me fait un simple signe de la main.

« Entre Sucre d'orge. »

Quand Rustï parle, ne pas répondre.

« Tu vas aller voir Azel, avec ce bon de commande. »

Il fouille le bordel de son bureau depuis sa chaise au cuir élimé. Il sort une feuille, la secoue avant de la parcourir d'un regard vif.

« Tu vérifies tout ce qu'il te donne, même si ça le fait chier. Tu lui dis que c'est moi. Tu recomptes tout, même s'il gueule. Tu repeses, tu vérifies que c'est bien fermé. Et avec tout ça, tu vas le voir lui dans la zone noire.

- Où ça ?

- Oh, tu le sauras sucre d'orge. Tu le sauras. Si tu fais du bon travail poupée, et qu'il achète de qui est prévu, j'aurais une belle récompense pour toi. »

Il se lève en reculant son fauteuil. Sa feuille toujours à la main. Il vient vers moi. Je tends le bras pour qu'il me donne le papier mais il le rabat sur son torse maigre.

« Pas de vague sucre d'orge. Pas. De. Vague. »

J'acquiesce. Tremblant. Je suis fatigué, j'ai mal dormi à cause de la douleur. Elle ne passe pas. J'ai à peine manger, même si depuis que je suis « alité », on m'amène d'énormes portions juste pour moi.

« Tu ne le regardes pas, tu ne lui parles que s'il te pose une question. Il ne te touche pas. Tu ne lui donnes surtout pas ton nom. Clair ? »

J'acquiesce derechef. Sa main se pose dans mon cou, il me regarde sans que je ne lui offre mon regard. Il soupire, je sens son souffle sur mon visage. Il sent l'alcool et la menthe. Sans que je ne bouge, je le sens m'embrasser. Je ne ferme pas les yeux. J'attends que ça passe. Enfin je récupère la feuille que je fourre dans une poche. Il caresse mes cheveux et me laisse partir.


Rustï est un enfant de la rue. Il ne connaît que la violence d'un quartier qui mange avant d'être mangé, le sang pour le sang. Il ne connaît que la détresse d'une mère alcoolique. La souffrance d'un enfant délaissé qui a faim et qui en veut.

Rustï a réussi en étant méchant et reste persuadé que c'est la seule façon de faire. Être hargneux et féroce.

Certains ici sont comme lui. Nourrit au sein de la misère, de la rue nourricière qui ne peut offrir que détresse. Aucun avenir, aucune issue, aucun oxygène en dehors de nos rues. Nous sommes des animaux endémiques se reproduisant de façon épidémique.


Azel garde un box en dehors de la maison, il suffit de faire quelques pas à l'extérieur pour tomber sur la porte de garage jamais complètement fermée.

« Je dois récupérer ça. »

Azel jette à peine un regard sur mon bon de commande. Il préfère me regarder moi. Assis sur le bord d'une table bancale, les bras croisés sur son torse. Ses yeux dévorent mon corps en un seul coup d'œil. Je ne bronche pas, la feuille tendue vers lui.

L'évangile selon Kurt. [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant