Psaume 9.

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Ce fut une nuit calme et sans rêve. Une nuit neutre. Je me réveille avec le crâne qui cogne et qui grince dès que je me lève. Le lit est vide à côté de moi, c'est un silence total dans la pièce. Elle parait d'autant plus grande en plein jour, avec ses murs immenses en béton couverts d'une peinture décrépie, la verrière du plafond de la moitié de la pièce qui fait entrer la lumière. Je peux distinguer parfaitement les différentes parties qui forment cet appartement. Je ne peux pas croire qu'il ait été là, qu'ici soit chez lui. Pour moi il ne vivait pas, il ne dormait pas, n'avait pas la vie d'un humain ordinaire.

Je repousse les draps et trouve au pied du lit un tas de vêtements soigneusement pliés. Ils sont trop grands pour moi mais il fait froid dans la pièce trop spacieuse pour être chauffée correctement. Je ne touche à rien, je tourne seulement, j'observe. Je n'ai connu que deux maisons, aucune ne ressemble à cet endroit où tout est propre, neuf, luxueux.

Puis je le vois, l'homme d'hier soir. Dans ce qui devait être le bureau de l'intendant au temps de l'usine, un petit local tout en vitre en haut des escaliers en métal, il a une vue sur tout l'appartement. Derrière lui alors qu'il m'adresse un signe de la main, j'aperçois un ensemble d'écrans allumés qui forment un halo bleu. D'un pas souple il descend les escaliers.

Il s'est changé depuis la veille mais ne s'est pas départi de cet air paisible qui lui dessine l'ombre d'un sourire. Il tend une main, surement pour serrer la mienne, mais je n'ose pas.

« Pierre. Tu ne crains rien ici, tout le monde sait que Ash t'a pris sous son « aile ». Il ne faut pas toucher au petit Ange. »

Il dit ça sans trace d'humour, sans moquerie. Il est parfaitement sérieux sans me lâcher des yeux. Mais il l'appelle Ash, alors je sais que lui-même n'est pas n'importe qui. Je le regarde un peu plus attentivement, les rides qui se tracent au coin de ses yeux qui me font penser qu'il est plus âgé que moi. Que Ash aussi. Son sourire sincère et ses belles dents. La chemise qu'il porte et le pantalon droit. Les yeux de chat, les mêmes que Ash. La mèche sombre de ses cheveux épais qui retombe sur son front, la même que Ash. Les grandes mains à la peau pâle, les mêmes que Ash. Je ravale ma question.

« Vous ne m'avez pas répondu hier, vous êtes médecin ?

- Je travaille à l'hôpital universitaire.

- Mais vous n'êtes pas médecin ?

- Je le suis. Mais aujourd'hui je travaille différemment.

- Pourquoi ?

- Parce que c'est la vie ? On pense que les choses sont comme elles sont, et puis on se rend compte de la réalité des choses, de tout ce que l'on n'a pas vu avant. »

Il fait tourner au bout de son doigt un trousseau de clefs. Des clefs de voiture.

« Où est Ash ? je chuchote. »

Je voudrais n'avoir pas à partir mais il continue de faire tourner les clefs.

« Parti régler des affaires.

- Qu'est ce qu'il fait ?

- Là maintenant ? Je ne sais pas, il marche peut-être, il respire sans doute.

- En général, comment il fait pour avoir tout ça ? Pourquoi le « Diable » ?

- Tu dois juste savoir que quand Ash a décidé de quelque chose, ça se passera, qu'importe le reste. Il se battra toujours pour ce qu'il veut. Et toi, il te veut. »

La berline noire s'arrête avant la maison, au bout de la rue déserte aussi tôt le matin. Le cadran numérique indique 08h17. Mon cœur s'accélère et Pierre me sourit en s'arrêtant, de ce sourire simple et neutre.

« Il ne t'arrivera rien Kurt. »

Mais je ne le connais pas, et lui non plus. Je repense seulement à la personne qui m'a vu partir hier et dont je n'arrive pas à redessiner le visage dans mon esprit. Mais cette image est chassée par la chaleur de Ash qui me revient par vague alors qu'enfin j'ai pu me serrer contre lui au cœur de la nuit. Je me rappelle ce regard ancré dans le mien et cette force insensée me revient. Cette force presque dangereuse tant je serai près à faire n'importe quoi soudain.

J'entends la voiture repartir dans un léger crissement des pneus. La maison est calme, je referme la porte sans un bruit. Je réalise que nous sommes dimanche, le silence de l'endroit est celui du sommeil. Mais je n'ai le temps de faire que deux pas qu'un corps percute violement le mien.

« Kurt ! Je t'ai cru mort ! »

A la force de mes bras je décolle Laureline qui refuse de me lâcher. Ses mains touchent mon visage, mes épaules puis mes cheveux. Elle me regarde de cet air de biche effarouchée dans les phares d'une voiture comme si j'étais vraiment mort.

« Je vais bien.

- On dit que tu es parti chez lui !

- Qui dit ? Quelqu'un m'a vu partir hier mais...

- C'était moi Kurt ! Je t'ai appelé, tu ne t'étais pas vu, tu faisais tellement peur... Je t'ai vu partie en caleçon, complétement affolé, tu avais du sang et... J'ai cru qu'on te retrouverait dans le fossé ! Ne me dis que tu es parti chez lui.

- Jesuis parti écrire mon histoire Laureline. Beaucoup d'histoires commencent dansle sang. »

L'évangile selon Kurt. [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant