Chapitre 8

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VIII – Jeu de piste

Ils avaient repris la route bien avant l'aube, et progressaient au pas le long de chemins défoncés.

Ils avaient passé la nuit à quelques kilomètres de la zone incendiée, sur le sommet dégarni d'une petite butte. Vassili avait garé le camion à l'orée de la forêt de sapins, et pendant que tous s'installaient, Ulrich sortait pour guetter, de loin, la lueur des flammes. Le foyer était violent, mais localisé : les sous-bois détrempés ne lui permettaient pas de s'étendre. Ulrich, méfiant, était tout de même longtemps resté en sentinelle, seul à veiller : il sentait encore sur son visage la chaleur des flammes. Même la carrosserie du camion était restée tiède jusqu'à leur arrivée au sommet de la butte.

Ils avaient peu dormi, d'un sommeil agité. En milieu de nuit, ils s'étaient tous éveillés les uns après les autres. Vassili avait préparé un café trop fort sur un feu crachotant et plein de fumée. Ils avaient bientôt quitté le haut de la butte, tournant le dos aux derniers reflets de l'incendie.

Ric, si calme le premier jour, était désormais agité lui aussi. Il s'était tout d'abord installé sous la bâche, laissant Vassili et Janina seuls à l'avant. Pendant plusieurs heures, Jolanta, adossée à la paroi de l'habitacle, avait entendu près d'elle des murmures dans le noir, émanant de deux formes presque invisibles courbées l'une vers l'autre comme des conspirateurs. À la première pause, pendant qu'un reste de café circulait dans les premières lueurs du jour, Ric était repassé à l'avant.

« Le chemin se rétrécit », avait-il soufflé tout en s'installant.

Un instant de silence, comme s'il prenait son souffle avant de plonger ; puis, Ric s'était mis à parler. Il avait parlé longtemps, contrairement à son habitude. Vassili l'écoutait sans rien dire, sans le regarder, ses mâchoires se contractant comme s'il ruminait. Depuis l'incendie de forêt, depuis l'apparition de ce trait de feu qui avait coupé le ciel en deux, il s'était produit en lui un revirement. Tous, dans le groupe, l'avaient senti. Désormais, seul Ric était en charge de leur parcours, et ses instructions ne seraient plus contestées.

Vassili avait pris note stoïquement des indications de Ric. Dès le pied de la butte, dans la nuit dense sous les sapins, ils s'étaient engagés dans un dédale de chemins forestiers où stagnaient parfois de longues mares. Ils étaient bientôt entrés dans un brouillard grumeleux comme des bourres de coton, qui s'accumulait dans les creux en plaques impénétrables, semblables à des îles.

Ils progressaient par des chemins parallèles le long de la principale piste forestière, celle qui faisait le tour des lisières et des zones récemment déboisées.

« Les blindés russes reviennent, avait dit Ric. Maintenant que toute la zone du nid a été grillée, ils réinstallent des barrages. Il y en a déjà au moins quatre devant nous. Si on en croisait un, à la rigueur, ça pourrait aller ; mais deux, trois ou davantage... On ne s'en sortirait pas. Il faut les contourner par l'intérieur de la forêt. Et les pillards aussi, les pillards parcourent les lisières. Ils pourraient nous couper la route si on n'y prend pas garde. »

Vassili doutait fortement que « ça pourrait aller » s'ils tombaient sur un barrage, mais il ne disait rien. Lui aussi se méfiait de la piste. Avec Ric, il guettait la moindre amorce de chemin, le moindre sentier qui leur permettrait de rester au loin des voies principales. Dans cette partie de la forêt, les zones inondées étaient moins fréquentes, et la chaleur des deux jours précédents avait commencé à durcir le sol, ce qui leur facilitait la tâche. Mais ils traversaient parfois des zones de brouillard dense où le chemin semblait disparaître ; Vassili se redressait à-demi sur son siège, se rapprochait du pare-brise, sourcils froncés, paupières plissées, et sentait près de lui la silhouette tendue de Ric.

ShurikenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant