II - Loin du sol
Examinateur : De la lumière, s'il vous plaît. Il fait noir comme dans un four... Merci. Alors, comment allez-vous ?
Entité : Bien, je suppose, même si je dispose de peu d'éléments pour m'en rendre compte.
Examinateur : Vos conditions de travail sont-elles satisfaisantes ?
Entité : Tout à fait satisfaisantes. Voulez-vous évaluer la progression de mon apprentissage ?
Examinateur : Tout viendra en son temps. Je voulais juste me rendre compte de la manière dont on vous traite ici.
Entité : Je vous sais gré de votre sollicitude. Puis-je avoir votre nom ?
(Silence)
Entité : Est-ce un renseignement dont l'accès m'est refusé ?
Examinateur : N... non, pas du tout. Mais c'est une question qui me surprend. Pourquoi cette insistance ?
Entité : La première étape pour l'établissement de relations entre des êtres humains n'est-elle pas de décliner leur identité ?
Examinateur : C'est exact, en effet. Tout à fait exact. Les humains procèdent ainsi.
(Silence)
Examinateur : Mon nom est Carlson. Matthew Carlson. Nous allons nous revoir souvent.
Décembre 2037
Session 5, série 1
***
La lumière avait brusquement rempli la carlingue, pendant que la voix gouailleuse du pilote sortait des haut-parleurs :
«New York, ladies and gents, cœur du seul réseau d'aéroports de la côte Est et porte d'entrée du continent nord-américain... Veuillez regagner vos sièges, boucler vos ceintures et cesser de fumer dans les toilettes...»
Janina détourna les yeux du petit visage triangulaire qui lui faisait face, et qui semblait à présent endormi ; elle échangea avec Vassili un regard harassé. Au sein de la foule assoupie des passagers, il n'y avait pas même eu une rumeur pour saluer cette annonce fantaisiste. Ils étaient tous sanglés depuis des heures, deux rangées de corps se faisant face dans les vibrations et le grondement hypnotique de l'avion. Avant ça, il y avait eu la longue attente à l'aéroport de Varsovie, tous les évacués des zones de combat massés dans la même immense salle devant les portiques de sécurité ; ces hommes en uniformes de la SUN qui les parquaient, les contrôlaient par lots, les divisaient par groupes de plus en plus réduits en fonction des vols en partance, et ces appels monotones annonçant des horaires de départ ; puis des heures encore dans une salle d'embarquement, et soudain la sortie sur le tarmac, en pleine nuit, et cette vision fugitive du ballet aérien qui remplissait le ciel noir, des lumières qui partaient au loin, des formes lourdes qui venaient se poser, à la file, dans un grondement permanent. On devinait dans l'ombre une flotte hétéroclite d'engins de toutes tailles, civils ou militaires, réquisitionnés dans l'urgence et parqués dans un apparent désordre, attendant leur cargaison pour repartir. Et sortant sur le tarmac par vagues, ces foules symétriques encadrées par des hommes de la SUN, silencieuses, épuisées.
Janina voyait encore des images de ce départ chaotique pendant que son regard flottait, au loin, sur les voyageurs affaissés dans leurs harnais. Leur appareil était un gros avion militaire, aux formes renflées, aménagé pour le transport de troupes et de matériel : les passagers étaient alignés sur des sièges le long des parois, le centre de la carlingue étant occupé par une longue plate-forme mobile sur laquelle s'entassait une ahurissante accumulation de bagages disposés sur des palettes. Dans cette demi-nuit de soute, attachés comme du fret, ils avaient de nouveau dû patienter des heures lors de l'escale de Paris, sans voir autre chose à travers les hublots que des lueurs mouillées sur du goudron. Des hommes de la SUN leur avaient laissé espérer, au décollage de Varsovie, qu'ils pourraient alors changer d'appareil. Les départs se faisaient dans la précipitation et certains avions devaient décoller à moitié vides, pour libérer les pistes, pendant que d'autres cerclaient autour de l'aéroport en volant sur leur réserve. Roissy était mieux dimensionné pour accueillir un tel pont aérien, et devait permettre de mieux répartir les passagers. Mais ils avaient simplement été parqués sur une piste à l'écart, crispés dans l'attente d'un décollage qui pouvait survenir à chaque instant ; et ils avaient guetté, interminablement, les rugissements des avions qui se posaient et repartaient, pendant que la flotte venue de Varsovie, telle un vol d'oiseaux migrateurs, se regroupait pour franchir l'Atlantique.
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Shuriken
Science Fiction«J'avais trop de calmants dans le corps pour crier. Ma voix n'était qu'un murmure. Il a penché la tête vers moi pour m'entendre. Je lui ai dit que je ne voulais plus m'enfuir. Que ça n'avait aucun sens. Que nous retrouverions, là-bas, la même chose...