III – Europe
Le couloir désert avait un aspect d'abandon. Aucun bruit, hormis celui du distributeur de café qui ronflait et cliquetait. La moquette était d'un bleu sale. À une extrémité, un néon clignotait.
Ces quelques mots tournaient dans la tête de Randall, comme un air de musique dont on ne parvient pas à se défaire :
« Nous avons été attaqués... »
Il marmonnait sans même s'en rendre compte. Une main se posa lourdement sur son épaule. Il sursauta, faillit renverser son café, se maudit intérieurement : ses réflexes de policier étaient bien émoussés, pour qu'il se soit ainsi laissé surprendre.
« Monsieur Richardson ! », tonna à son oreille une voix à la jovialité appuyée.
Randall soupira, stabilisa son gobelet, en but une lampée – autant pour limiter les risques d'un débordement toujours possible, que pour se donner une contenance. Il se tourna vers l'homme à la voix joviale : Matthew Carlson, grand patron du « New York State Security Council », qui chapeautait tous les services liés de près ou de loin à la sécurité, depuis les pompiers jusqu'à la surveillance du territoire en passant par la police – et accessoirement, son supérieur direct.
Le physique de l'homme était bien en accord avec sa voix. Il mesurait une bonne tête de moins que Randall. Sous des cheveux bruns coupés court, un visage rubicond, plissé autour des yeux ; un embonpoint prononcé ; et de façon générale, une capacité presque magnétique à détendre ses interlocuteurs. Un négociateur redoutable, et sur le plan professionnel, un tueur à sang froid.
Randall afficha son sourire le plus amène.
« Bonjour Matthew, quelle surprise !
– N'est-ce pas ? Et c'est justement vous que je cherchais, mon cher Randall. »
Randall souriait toujours, mais son sourire s'était figé.
« Nous pouvons passer à mon bureau...
– Pas de ça entre nous, mon cher Randall. Juste une discussion amicale entre collègues, rien de plus. »
Il inséra une pièce dans le distributeur, commanda un thé, désigna une salle à la paroi vitrée de l'autre côté du couloir :
« Ici, ça me paraît très bien. Vous ne trouvez pas ? Nous y serons tout à fait à l'aise ».
Randall hocha la tête sans un mot, et se dirigea vers la salle. Il y avait peu de chances que leur entretien ait le moindre témoin : pratiquement personne ne venait à cet étage. Les services de police de l'État de New York, que Randall dirigeait, n'occupaient qu'une infime partie de l'ancien immeuble de bureaux dans lequel ils avaient dû être transférés depuis que s'étaient multipliées les incursions de Shuriken. Il était situé près de ce qui avait été autrefois la bibliothèque de Brooklyn, dans un quartier délaissé jusqu'à une date récente mais qui connaissait un regain de vitalité avec l'arrivée de fuyards de Manhattan, qui ne pouvaient se résoudre encore à quitter définitivement la ville de New York.
Matthew Carlson s'installa confortablement dans un fauteuil au cuir fatigué, devant une longue table de verre ternie de poussière, observa d'un œil pétillant Randall assis face à lui.
« Alors, quelles nouvelles, cher monsieur Richardson ? »
Randall s'éclaircit la gorge.
« Eh bien, je pars quelques jours pour un séminaire. Sur la coopération policière dans un contexte de renforcement des frontières. Je le prépare depuis un bon moment.
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Shuriken
Science Fiction«J'avais trop de calmants dans le corps pour crier. Ma voix n'était qu'un murmure. Il a penché la tête vers moi pour m'entendre. Je lui ai dit que je ne voulais plus m'enfuir. Que ça n'avait aucun sens. Que nous retrouverions, là-bas, la même chose...