Chapitre 11

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XI – Dans la toile

27 avril

« Il est grand temps que je me présente.

Mon nom est Priya. J'ai treize ans.

Et ce sont mes derniers jours. Mes derniers jours à l'école.

Pour tout le monde – nos enseignants, les chercheurs, le personnel administratif, les commandos du groupe de sécurité – le seul terme acceptable est celui d'Institut. Avec une majuscule, pour « Institut de Recherches Cognitives », que l'on peut éventuellement remplacer par l'acronyme IRC.

C'est là que nous vivons, que nous apprenons et que nous grandissons – bien ou mal, c'est selon. C'est notre lieu de vie, et ça l'a toujours été, aussi loin que remontent nos souvenirs. Pour nous, c'est simplement l'école.

Si vous ne souffrez pas d'une allergie irrémédiable aux chiffres, vous avez déjà fait un rapide calcul, et probablement conclu à une erreur. Mais il n'y a pas d'erreur. La Priya que je vous décris au début de ce journal, celle qui a découvert, il y a sept ans, les premières images des Shuriken pendant un cours de géopolitique de ce bon Mr Cheng, avait bel et bien six ans. C'était aussi le cas d'Olivier, et de Willy, et de tous les autres. Enfin... presque tous les autres. Ric, lui, était un grand. Il avait sept ans – c'est sans doute ce qui m'a d'abord attirée chez lui – et un parcours déjà particulier.

À présent, vous commencez sûrement à comprendre.

Vous comprenez qui je suis, et pourquoi j'ai autant tardé à me présenter.

Si je l'avais fait de prime abord, si vous aviez su qui était l'auteur de ces lignes, vous auriez cessé de lire ce journal pour le jeter au loin comme une bête venimeuse.

Et vous n'auriez pas eu tort.

Je suis ce que vous appelez un « phénomène ». Une curiosité. Une anomalie.

Un monstre.

Nous le sommes tous, ici.

C'est la spécialité de l'Institut.

Quand on me rencontre pour la première fois, je fais peur, paraît-il. Ce sont mes yeux. Ric les trouve très beaux. Ric n'est pas objectif.

Il n'y a qu'à l'Institut que mes yeux n'effraient personne. Sauf les membres du personnel de sécurité, lorsque j'en croise.

Mes yeux sont plus grands que la moyenne. Pas beaucoup plus – pas de manière caricaturale – mais suffisamment pour qu'on les remarque. Surtout, l'iris en est large, très sombre, presque noir, donnant l'impression de pupilles qui me mangeraient le visage.

Si vous me rencontriez portant des lunettes de soleil, vous ne verriez qu'une adolescente plutôt fluette, brune, les cheveux raides, le teint sombre, que vous devineriez originaire du sous-continent indien. Mais si j'ôtais mes lunettes, vous ne verriez plus que mes yeux.

Ma spécialité – nous en avons tous une, ici – c'est le langage. Le langage sous toutes ses formes. Non pas comme objet d'étude, mais comme pratique concrète : tout ce qui permet de véhiculer des concepts, d'exprimer des émotions, d'accorder entre elles diverses perceptions du monde sur la base d'une expérience commune...

Vous avez dû vous apercevoir déjà que ma manière d'écrire n'est pas celle d'une adolescente de treize ans. Mais l'écrit n'est qu'un vecteur parmi d'autres, et il est loin d'être le plus riche. Pour transmettre ce qui bouillonne dans un cerveau vers un autre cerveau, il existe de multiples méthodes, de multiples langues, chacune avec ses règles plus ou moins formalisées, son vocabulaire, sa syntaxe... Et en-deçà, leur servant de soubassement, facilitant la transmission lorsque les mots, les signes, les notes ou les touches de couleur manquent, il y a la transmission directe.

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